De la santé à l’école : le modèle Coges s’étend
La décision de transposer aux établissements scolaires le dispositif déjà éprouvé dans les centres de santé primaires marque une inflexion notable de la politique publique congolaise. Les autorités, réunies à Kintélé du 12 au 14 juin 2025, ont entériné l’implantation des Comités de gestion (Coges) dans tous les établissements préscolaires, primaires et secondaires publics. Inspiré de l’expérience sanitaire, le modèle s’appuie sur la coresponsabilité entre État, collectivités et usagers pour améliorer la qualité du service rendu.
Le décret n° 2024-2947 du 30 décembre 2024, pierre angulaire du dispositif, confère aux Coges un mandat de concertation, d’appui et de contrôle. Au-delà de l’effet d’annonce, la transposition ouvre un nouveau front administratif où l’enjeu n’est plus seulement pédagogique, mais aussi politique : il s’agit de tester la capacité de l’État à partager réellement le pouvoir de décision avec les communautés éducatives.
Un parrainage financier et technique aux accents multilatéraux
La Banque mondiale, par l’intermédiaire du Programme « Accélérer la gouvernance institutionnelle et les réformes » (Pagir), endosse le rôle de catalyseur financier. Avec un portefeuille de 45 millions de dollars dédié à la gouvernance locale, l’institution de Bretton Woods mise sur la participation communautaire pour réduire les déperditions scolaires et contenir les dépenses publiques (Banque mondiale). Cette implication s’accompagne d’exigences : rapports d’audit, indicateurs de performance et transparence budgétaire figurent dans le cahier des charges.
Si l’apport international sécurise le démarrage, il soulève aussi la question de la soutenabilité. Le financement externe peut créer une dépendance structurelle, alors même que le ministre Jean-Luc Mouthou plaide pour « un pilotage basé sur les résultats ». Le défi sera de convertir l’appui multilatéral en ressources internes pérennes, sans quoi la réforme pourrait s’essouffler à l’issue du cycle budgétaire.
La réforme, vitrine de la décentralisation congolais
Depuis 2018, le Congo a amorcé une décentralisation renforcée, conférant aux collectivités territoriales de nouveaux leviers budgétaires. Les Coges s’inscrivent dans cette dynamique : ils associent préfets, maires, chefs d’établissement, enseignants et parents d’élèves à la gouvernance quotidienne. Jacques Ississongo, préfet inspecteur général, voit dans le dispositif « la concrétisation de la démocratie participative ». Pour les élus locaux, c’est surtout un instrument de visibilité politique à l’heure où la confiance entre administrés et autorités reste fragile après la pandémie.
Cependant, la mise en réseau de ces instances multiplie les centres de pouvoir. Faute d’une articulation claire avec les directions académiques, le risque d’interférences administratives est réel. La feuille de route adoptée à Kintélé prévoit une coordination inter-ministérielle trimestrielle : le succès dépendra de cette synchronisation, souvent difficile à maintenir sur le long terme.
Le chantier normatif : entre volonté politique et inertie bureaucratique
Conformément à la nouvelle loi d’orientation de l’éducation, chaque Coges doit adopter un règlement intérieur, publier un rapport annuel et tenir un registre financier accessible au public. Dans un pays où l’index de perception de la corruption reste élevé (Transparency International), ces exigences constituent un test de maturité institutionnelle.
Les syndicats d’enseignants, minoritairement représentés à l’atelier, redoutent que la lourdeur des procédures ne se traduise par une surcharge administrative. « Notre première mission demeure la transmission du savoir, pas la comptabilité », souligne un responsable syndical sous couvert d’anonymat. La crainte d’un transfert de charges sans transfert de moyens traverse également les rangs des directeurs d’école, habitués à un environnement souvent sous-doté.
Participation citoyenne : l’épreuve du terrain
La vocation première des Coges est de donner la parole aux parents et aux communautés. La docteure Catherine Diamouangana, experte en gouvernance locale, rappelle que « l’adhésion populaire dépendra de la capacité des comités à produire des résultats tangibles ». Or, dans les zones rurales, l’éloignement géographique et la pluralité des langues nationales compliquent l’organisation de réunions régulières. L’expérience des comités sanitaires a montré que l’assiduité chute après la première année d’exercice, faute de mobilisation continue.
Pour pallier ces écueils, le ministère envisage la création de secrétariats permanents dotés de jeunes volontaires civiques. La mesure est saluée par la société civile, mais son financement n’est pas encore sécurisé. La question de la rémunération de ces animateurs reste centrale, car la gratuité totale pourrait compromettre la motivation et la stabilité du dispositif.
Enjeux régionaux et diplomatiques d’une réforme éducative
À l’échelle de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, le Congo ambitionne d’être un laboratoire de la gouvernance partagée. La mise en place des Coges s’inscrit dans les Objectifs de développement durable, notamment l’ODD 4 relatif à une éducation de qualité et l’ODD 16 sur des institutions efficaces. Brazzaville espère ainsi capter davantage de financements verts et sociaux lors de la prochaine table ronde de Libreville.
Pour les partenaires bilatéraux, la réforme offre un indicateur concret de l’efficience de l’aide. Paris, Pékin et Ankara suivent le dossier avec attention, y voyant un baromètre de stabilité politique. Une gouvernance scolaire apaisée pourrait en effet servir de tremplin à d’autres projets structurants, qu’il s’agisse d’énergies renouvelables ou d’infrastructures de transport.
Entre espoir prudent et scepticisme raisonné
En clôturant l’atelier, Jean-Luc Mouthou a insisté sur « les efforts continus » nécessaires pour transformer l’essai. Sur le papier, la réforme aligne les standards internationaux ; sur le terrain, elle se heurtera aux réalités d’un appareil administratif parfois rétif au changement. La réussite tiendra à la capacité des Coges à devenir autre chose qu’un label : un espace décisionnel où la transparence n’est pas négociable.
La communauté diplomatique, quant à elle, observe un double mouvement : l’État congolais s’ouvre à la gouvernance citoyenne, tout en recherchant la caution financière des bailleurs. Cet équilibre délicat peut constituer une avancée décisive pour la stabilité sociale, à condition que les rapports de force locaux n’en détournent pas l’esprit.
Au-delà de la rhétorique, l’année scolaire 2025-2026 fera office de premier test grandeur nature. Si les Coges parviennent à réduire le taux d’absentéisme, à accélérer la maintenance des infrastructures et à accroître la confiance entre familles et autorités, alors le tournant stratégique sera confirmé. Dans le cas contraire, ils rejoindront la longue liste des réformes inachevées qui jalonnent l’histoire administrative congolaise.