Une visite belge sous haute attention
La tournée africaine du vice-Premier ministre belge, Maxime Prévot, a fait escale le 19 août à Kinshasa, où il a été reçu par le président Félix-Antoine Tshisekedi. Au-delà de l’image, la rencontre relance le débat européen sur la crise qui mine l’Est congolais.
Accompagné de l’envoyé spécial Marc Pecsteen et de l’ambassadrice Roxane de Bilderling, le chef de la diplomatie belge sillonne quatre pays d’Afrique centrale. Objectif affiché : arrimer l’attention humanitaire et sécuritaire européenne à une dynamique régionale déjà portée par les capitales du bassin du Congo.
Les enjeux sécuritaires à l’Est de la RDC
L’initiative survient alors que Bruxelles prépare un Conseil Affaires étrangères consacré au Partenariat stratégique avec l’Union africaine. Dans les couloirs du Berlaymont, plusieurs diplomates estiment qu’une approche plus cohérente s’impose, à la fois militaire, diplomatique et économique, face à l’activisme du mouvement M23.
Maxime Prévot s’est montré particulièrement direct : « C’est un échec collectif si les massacres continuent malgré nos résolutions », a-t-il prévenu, rappelant les engagements signés à Washington et Doha. Le message vise autant les partenaires africains que les chancelleries européennes dont l’agenda oscille.
Kinshasa, Bruxelles et Paris conviennent que la présence du M23 dans le Nord-Kivu constitue une violation de la souveraineté congolaise. Pourtant, le cessez-le-feu de décembre n’a jamais franchi le stade des communiqués. Sur le terrain, la population compte davantage les jours de fuite.
Brazzaville, pivot discret de la médiation
À Brazzaville, l’évolution sécuritaire voisine est suivie avec vigilance. Le président Denis Sassou Nguesso a, dès février, proposé de réunir le Comité de haut niveau de l’Union africaine sur la Libye et les Grands Lacs, confirmant le rôle de médiateur traditionnel du Congo-Brazzaville.
Selon un conseiller diplomatique congolais, « la stabilité de Kinshasa demeure indispensable à l’équilibre du fleuve ». Brazzaville plaide donc pour une concertation élargie incluant les processus de Nairobi et de Luanda. L’arrivée de la diplomatie belge offre à cette architecture un relais européen.
La dimension humanitaire et militaire
Sur le volet humanitaire, Maxime Prévot annonce une enveloppe supplémentaire de dix millions d’euros destinée aux déplacés internes. Les agences onusiennes comptabilisent plus de six millions de personnes en mobilité forcée dans l’Est. La Belgique espère entraîner d’autres capitales à accroître leurs instruments civils.
La question militaire reste plus délicate. Bruxelles ne souhaite pas déployer de troupes, mais propose une mission de formation spécialisée dans le déminage et la protection des civils autour des couloirs humanitaires. Un concept proche de l’EU Military Assistance Mission déjà opérante en Ukraine.
Cependant, plusieurs États membres s’interrogent sur le risque d’escalade régionale. L’estimation européenne situe déjà à 120 millions d’euros l’appui bilatéral à Kinshasa pour 2024. Sans coordination avec la Communauté de l’Afrique de l’Est, un nouvel instrument militaire pourrait brouiller le dialogue congolais-congolais.
Le départ progressif de la MONUSCO, prévu pour 2024, complique encore l’équation. Sans force onusienne robuste, la responsabilité de la sécurisation reviendra d’autant plus aux armées nationales et aux mécanismes régionaux, d’où l’intérêt pour l’Europe de soutenir des capacités locales crédibles.
Un équilibre diplomatique délicat
Les autorités de Brazzaville insistent justement sur cette dimension. Faute de consensus, préviennent-elles, aucun engagement extérieur ne doit supplanter les mécanismes régionaux existants. Une référence au Comité ad hoc CEEAC-UA qui, depuis Libreville, suit la question des groupes armés dans les Kivus.
Du côté de l’opinion congolaise, l’initiative belge suscite curiosité et scepticisme. « Nous avons connu beaucoup de plans internationaux, mais peu d’impact au village », rappelle le chercheur Jason Stearns. Pour convaincre, Bruxelles devra articuler l’assistance humanitaire, l’appui budgétaire et la pression diplomatique sur les voisins.
Économie et corridors stratégiques
La diplomatie économique n’est pas en reste. La société minière Gécamines négocie une renégociation de contrat avec un consortium occidental, tandis que le cours mondial du cuivre franchit de nouveaux sommets. Les capitaux européens voient dans la stabilisation sécuritaire un levier d’investissement durable.
Brazzaville, qui développe sa zone économique spéciale d’Ignié, surveille ces flux. La diplomatie congolaise y décèle l’opportunité de mutualiser les infrastructures portuaires et ferroviaires, afin de proposer un corridor Atlantique sécurisant pour les minerais venus de l’Est. Une proposition déjà discutée avec Kinshasa.
Quelles perspectives pour l’initiative belge?
Au final, la tournée de Maxime Prévot met en lumière une convergence d’intérêts. Les Européens cherchent un dossier africain consensuel ; les États du bassin du Congo désirent inscrire leurs priorités dans l’agenda global. Reste à transformer cette alchimie diplomatique en acquis tangibles.
Les prochaines semaines seront décisives. Un sommet UE-UA informel est prévu en marge de l’Assemblée générale de l’ONU. Brazzaville a déjà confirmé sa participation, tout comme Kinshasa. Si la proposition belge reçoit un mandat clair, la mobilisation européenne pourrait enfin changer d’échelle.
Pour l’heure, l’initiative bénéficie d’un climat politique relativement favorable. Entre prudence stratégique et attentes sociales pressantes, la fenêtre d’opportunité reste étroite. Le bassin du Congo espère que Bruxelles saura traduire sa rhétorique de solidarité en une stratégie durable.
