Un tournant diplomatique scellé sur les bords du Potomac
Dans la salle Jefferson du Département d’État, l’image restera : un drapeau congolais et un drapeau rwandais, côte à côte, sous le regard du secrétaire d’État Marco Rubio. En paraphant le texte de trente-quatre articles, Félix Tshisekedi et Paul Kagame ont acté l’engagement le plus ambitieux depuis l’Accord de Lusaka de 1999. La solennité américaine n’enlève rien au pragmatisme qui a prévalu : cessation immédiate des hostilités, calendrier précis de retrait des unités rwandaises identifiées dans le Nord-Kivu et mécanisme conjoint de vérification. Washington, soucieux de crédibilité, présidera une commission d’audit trimestrielle incluant l’Union africaine, rappelant la doctrine du « lead from behind » chère aux diplomates états-uniens.
Au-delà du cessez-le-feu, les deux chefs d’État entendent tourner définitivement la page des accusations croisées de soutien aux groupes armés. « La souveraineté de chacun devient un principe non négociable, mais la sécurité devient un bien commun », confie un haut fonctionnaire congolais présent sur la Côte Est. Le ton tranche avec les invectives de 2023, signe qu’une fatale usure du conflit a ouvert la porte à la négociation. Le paradigme évolue : de la défiance permanente à une coopération régulée, sous œil nord-américain.
Des corridors commerciaux longtemps à l’arrêt
À Goma comme à Rubavu, les transporteurs comptent les jours. Depuis dix ans, la fermeture récurrente de la petite et de la grande barrière a amputé le commerce transfrontalier de près de 40 % selon la Banque mondiale. L’accord prévoit de rouvrir les postes frontaliers 24 heures sur 24 sous escorte douanière conjointe et de numériser les procédures d’exportation de produits vivriers vers le marché rwandais. L’enjeu n’est pas anecdotique : la farine de maïs, la bière et le ciment échangés entre les deux rives du lac Kivu représentent l’ossature économique de milliers de ménages.
Les organisations patronales des deux pays entendent capitaliser sur la complémentarité des chaînes d’approvisionnement. Le Rwanda, plus avancé dans les services numériques, mise sur ses plates-formes logistiques pour fluidifier les échanges. La RDC, riche d’un hinterland agricole sous-exploité, voit dans l’accord la chance de convertir la fertilité de l’Ituri en devises. « Il ne s’agit plus seulement d’écouler des produits, mais de bâtir des chaînes de valeur régionales », affirme un expert de la Communauté économique des États d’Afrique centrale.
Stabiliser l’or bleu et le granit stratégique
La manne minière de l’Est congolais, coltan en tête, reste le cœur du réacteur. En l’absence de sécurité durable, les opérateurs internationaux maintenaient un profil bas, craignant les taxations illégales des groupes armés. Selon un conseiller du Trésor américain, la signature de Washington accroît la prévisibilité du cadre d’investissement et pourrait doubler, à moyen terme, la contribution des minerais stratégiques congolais à la filière mondiale des batteries. Cobalt, or et étain ne sont plus seulement des ressources ; ils deviennent instruments de diplomatie économique.
La RDC et le Rwanda se sont engagés à harmoniser leurs régimes de traçabilité, dossier sur lequel Kigali dispose déjà de solutions blockchain saluées par l’OCDE. Le texte prévoit l’installation de laboratoires frontaliers certifiés afin de limiter la contrebande et de maximiser les recettes fiscales. Un diplomate européen nuance toutefois l’optimisme ambiant : « Sans capacités judiciaires solides, le secteur restera vulnérable. » Reste que la perspective d’un climat sécuritaire pacifié alimente déjà des projections de croissance supérieures à 6 % pour le Kivu, autrefois enclave de violence.
La vigilance internationale face aux pièges du terrain
Les signatures ne valent que par leur mise en œuvre. Sur ce front, les précédents accords d’Addis-Abeba ou de Nairobi invitent à la prudence. Le calendrier de désarmement, détaillé mais ambitieux, prévoit une remise des armes en trois phases sur dix-huit mois, contrôlée par une force onusienne redimensionnée. Les groupes armés qui refuseraient la reddition seront soumis à des sanctions ciblées, y compris gel des actifs et interdiction de voyage. Les États-Unis s’imposent implicitement en arbitre, donnant au texte une dimension presque contractuelle.
La trajectoire reste semée d’embûches : rivalités locales, économie de guerre résiduelle et possibles surenchères politiques à l’approche d’échéances électorales en RDC comme au Rwanda. Néanmoins, la dynamique paraît robuste. « Nous disposons d’instruments de monitoring en temps réel, inédits dans la région », assure un officiel américain. Selon lui, l’emploi accru de données satellitaires pour surveiller les mouvements de troupe réduit l’espace de contestation. La fin de l’impunité deviendrait ainsi un facteur de dissuasion, complémentaire au dialogue.
Les implications régionales, de Brazzaville à Addis-Abeba
La signature de Washington déborde le cadre bilatéral. À Brazzaville, la diplomatie congolaise observe avec intérêt la normalisation à l’Est, y voyant la confirmation de la doctrine de stabilité prônée par le président Denis Sassou Nguesso. Pour les pays du corridor fluvial, toute décrispation sécuritaire signifie un accroissement attendu des flux commerciaux le long du fleuve Congo et une meilleure attractivité des projets d’interconnexion énergétique. La République du Congo, forte de sa place de transit vers l’Atlantique, pourrait capter une part non négligeable du trafic à destination du port de Pointe-Noire.
À Addis-Abeba, siège de l’Union africaine, la paix RDC-Rwanda consolide l’architecture continentale de sécurité collective. Le pacte s’inscrit dans la vision d’une ZLECAf pleinement opérationnelle, où l’intégration économique sert de ciment diplomatique. Les chancelleries européennes saluent « un moment charnière pour l’Afrique centrale », tandis que Pékin, discret par tradition, s’assure de la continuité de ses contrats miniers. Une chose est sûre : la fenêtre d’opportunité est étroite, mais elle fondamentalise l’idée que la stabilité est devenue une monnaie d’échange à haute valeur sur les marchés diplomatiques.