Ce qu’il faut retenir
Issa Tchiroma Bakary, arrivé le 7 novembre à l’aéroport de Banjul, confirme désormais avoir quitté le Cameroun pour assurer sa sécurité alors qu’il conteste la réélection du président Paul Biya. Son exil temporaire place la Gambie au cœur d’une crise politique sous-régionale.
Le gouvernement gambien justifie l’accueil « pour raisons humanitaires » et exclut tout usage de son territoire comme base contre un État tiers. À Yaoundé, le pouvoir affirme vouloir juger l’opposant pour incitation à la violence, tandis que l’opposition crie à la fraude électorale.
Contexte électoral
Le 12 octobre, la commission électorale a déclaré Paul Biya vainqueur avec 53,7 % des suffrages, lui ouvrant la voie d’un huitième mandat après quarante-trois ans de pouvoir. Tchiroma Bakary, ancien ministre, revendique 35,2 % et accuse le camp présidentiel d’avoir truqué les urnes.
Dans les jours suivant l’annonce des résultats, l’opposant a multiplié appels à manifester et opérations « ville morte ». Les autorités font état de 16 morts lors des affrontements, bilan contesté par des ONG locales qui parlent d’une répression plus sévère qu’annoncée officiellement.
Chronologie de la fuite
Selon Banjul, Issa Tchiroma a franchi discrètement la frontière nigériane avant de gagner Dakar puis la côte gambienne, profitant de réseaux amicaux. Son sort restait flou jusqu’au communiqué du ministère gambien de l’Information précisant qu’il était « hébergé temporairement » pour faciliter une médiation diplomatique.
Dans un message audio diffusé sur les réseaux sociaux, le chef de file de l’opposition camerounaise a remercié le président Adama Barrow pour « l’hospitalité » et assuré qu’il ne dirigera aucune activité subversive depuis le territoire gambien, tout en appelant ses partisans à « maintenir la pression pacifique ».
Réactions à Banjul
À Banjul, l’annonce a déclenché un débat politique inattendu. L’Union démocratique du peuple a salué un geste de solidarité africaine mais accuse l’exécutif d’avoir dissimulé l’arrivée du leader camerounais pendant six jours, soulevant des questions de transparence et de responsabilité vis-à-vis de l’opinion publique.
Le gouvernement gambien insiste, de son côté, sur sa neutralité. « La Gambie ne saurait être une base logistique contre un État frère », précise un conseiller d’Adama Barrow, rappelant l’expérience du pays sorti d’une grave crise institutionnelle en 2017 grâce à une médiation régionale.
Impact sur Yaoundé
À Yaoundé, les autorités restent prudentes. Aucun mandat d’arrêt international n’a encore été publié, mais plusieurs responsables sécuritaires évoquent officieusement la possibilité de demander une extradition. Pour l’instant, le gouvernement privilégie un discours appelant au « retour à la normale » et à la relance économique.
Les chancelleries occidentales suivent aussi le dossier. Un diplomate européen à Libreville estime que « l’exil de Tchiroma Bakary complique la séquence postélectorale » et pourrait susciter de nouvelles sanctions ciblées si la situation dégénère, alors que la région cherche déjà à stabiliser plusieurs foyers de tension.
Lecture régionale CEMAC
La fuite ravive les débats sur la libre circulation en Afrique centrale. La CEMAC, encore en chantier sur la question des passeports biométriques, voit l’affaire comme un test pour ses mécanismes de prévention des crises et pour la cohésion entre États membres aux intérêts parfois divergents.
Scénarios possibles
Plusieurs analystes envisagent trois issues principales. La première serait une négociation directe Biya-Tchiroma sous l’égide de la CEEAC. La deuxième, un dialogue national élargi incluant société civile et diaspora. La troisième, le statu quo, avec un opposant à l’étranger et des tensions contenues sur le terrain.
Pour l’instant, aucune médiation formelle n’est annoncée, mais des émissaires religieux essayent de renouer le fil. « La paix ne doit pas se négocier hors du Cameroun », estime l’archevêque de Douala, tout en reconnaissant que la présence de Tchiroma à l’étranger maintient la pression sur le pouvoir.
Le point économique
Sur le plan économique, les manifestations intermittentes et les journées sans activité pèsent déjà sur le secteur informel, principal pourvoyeur d’emplois urbains. Les entreprises de transport se disent touchées par la baisse du trafic interurbain, tandis que les exportateurs redoutent un renchérissement des primes d’assurance risque.
Si la controverse électorale s’enlisait, certains investisseurs pourraient différer des engagements, notamment dans les télécoms ou l’agro-industrie. L’agence de notation S&P observe soigneusement l’évolution budgétaire et politique avant de réviser la perspective souveraine camerounaise, classée actuellement à B sans perspective négative.
Le point juridique
Sur le plan du droit international, la convention de 1951 relative au statut des réfugiés protège toute personne craignant des persécutions politiques. Toutefois, la Gambie n’entend pas octroyer ce statut à Issa Tchiroma, préférant un hébergement temporaire qui lui laisse marge de manœuvre diplomatique.
Et après ?
À court terme, l’opposant dit vouloir rester à Banjul « le temps qu’il faudra », tablant sur la « solidarité panafricaine ». Toutefois, ses conseillers juridiques envisagent aussi un possible asile dans un autre pays si une extradition venait à être demandée. La partie d’échecs diplomatique ne fait que commencer.
