Ce qu’il faut retenir
Le premier jour du procès de Sylvia Bongo Ondimba et de son fils, Noureddin Bongo Valentin, a marqué l’ouverture d’une séquence judiciaire inédite à Libreville. Douze proches de l’ancien palais présidentiel doivent répondre de détournements présumés de centaines de milliards de francs CFA.
Pour la transition gabonaise, la semaine d’audience est l’occasion d’afficher une rupture avec les pratiques imputées au « système Bongo » depuis l’AVC de l’ancien chef de l’État en 2018, tout en rassurant partenaires économiques et opinion publique sur la solidité de l’État de droit.
Contexte régional et politique
Le dossier s’inscrit dans un mouvement continental de lutte contre la corruption, déjà observé au Cameroun ou en Angola. À Brazzaville, les observateurs saluent une dynamique susceptible de renforcer la confiance des investisseurs dans l’ensemble de la CEMAC, espace en quête d’intégration renforcée.
Depuis l’accession du président Denis Sassou Nguesso à la tête de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale en 2022, la coordination judiciaire est régulièrement mise en avant comme un pilier de la stabilité sous-régionale, abordant à la fois blanchiment, trafics et financement illicite.
Libreville espère ainsi tourner la page de cinquante-six ans de domination familiale et envoyer un message au reste du monde : l’Afrique centrale peut moderniser ses institutions sans perdre la maîtrise de sa trajectoire, tout en préservant ses équilibres diplomatiques et économiques.
Une audience sous haute attention
La cour criminelle spéciale a appelé tour à tour les douze prévenus, parmi lesquels d’anciens piliers de la « Young Team » présidentielle. Seul Mohamed Ali Saliou manque à l’appel, jugé par contumace en même temps que Sylvia Bongo et son fils, installés à Londres.
Dès l’ouverture, le greffier a détaillé un enchaînement de virements, bonus pétroliers et retraits d’espèces provenant du Trésor public. Les montants cités – des millions puis des milliards de francs CFA – donnent la mesure d’une économie parallèle supposée avoir alimenté comptes offshore et patrimoine immobilier.
L’accusation retient notamment contrefaçon de sceaux officiels, corruption active et blanchiment. Le procureur Eddy Minang promet une procédure « sans passe-droits ». Plusieurs avocats assurent que la défense aura tout loisir de déposer conclusions et pièces, augurant d’un débat technique plutôt qu’expéditif.
Les deux premiers jours se concentrent sur les absents avant le réquisitoire attendu, puis l’examen individuel des neuf autres dossiers. Les caméras sont interdites, mais la salle, bondée de journalistes et d’ONG, relaie en temps réel la moindre inflexion des juges.
La riposte médiatique de Londres
Depuis la capitale britannique, Noureddin Bongo Valentin multiplie vidéos YouTube et entretiens dans Le Point ou Brut Afrique. Il se dit « bouc émissaire » et questionne l’indépendance de magistrats nommés sous le règne de son père, soulignant ses longues années passées en Europe.
La présidence gabonaise dénonce, de son côté, une « campagne d’influence » destinée à troubler la transition entamée après le 30 août 2023. « On est dans une tentative de déstabilisation qui ne prospérera pas », insiste le porte-parole Théophane Nzame Nze Biyoghe sur les chaînes locales.
À Libreville, certains militants reprochent à la défense d’exporter le débat, plutôt que de venir s’expliquer devant leurs juges. D’autres voient dans cette hyper-communication la preuve que le procès, retranscrit quasi minute par minute sur les réseaux, détermine aussi l’image internationale du nouveau pouvoir.
Justice, transition et opinion publique
Jamais depuis l’indépendance de 1960, un membre de la famille présidentielle n’avait été présenté devant une cour criminelle. Pour nombres de Gabonais, l’audience symbolise la fin d’un tabou et l’avènement d’une justice qu’ils espèrent moins liée aux rapports de force politiques.
Les diplomates occidentaux suivent le déroulement avec prudence. Washington et Bruxelles ont déjà salué la « sérénité » des premiers échanges, tout en rappelant l’importance de procédures équitables pour la crédibilité du futur calendrier électoral. Paris observe sans déclarer publiquement, préférant laisser la société civile commenter.
Dans les rues de Libreville, les conversations oscillent entre attente de sanctions exemplaires et crainte de voir les vieux réflexes resurgir. L’inflation et le coût de la vie nourrissent l’impatience ; la transition, pour préserver son élan, doit conjuguer justice, relance économique et cohésion sociale.
Et après pour l’Afrique centrale ?
Le verdict attendu pourrait servir de jurisprudence pour d’autres dossiers sensibles dans la sous-région. Des ONG recommandent déjà la mise en place d’un parquet financier commun à la CEMAC, capable de suivre les flux transfrontaliers et d’harmoniser les sanctions contre le blanchiment.
Brazzaville, hôte régulier de sommets sur la gouvernance, suit de près l’expérience gabonaise. Des experts congolais évoquent, sous couvert d’anonymat, la possibilité d’accords d’entraide judiciaire renforcés afin de sécuriser les mégaprojets d’infrastructures et de protéger les finances publiques de l’économie congolaise comme de ses voisins.
En attendant, le tribunal gabonais poursuit ses travaux au rythme serré d’une semaine. Quel que soit le jugement, la région retiendra surtout la méthode : une institution qui écoute les parties, publie ses actes et assume de faire de la transparence un levier de stabilité durable.
