Un hommage national très suivi
Le 25 juillet 2025, la salle des congrès de Brazzaville a offert un rare instant d’unité symbolique : universitaires, diplomates, corps constitués et représentants de la jeunesse se sont pressés pour saluer l’élévation du professeur Théophile Obenga à la dignité de Grand-Croix de l’Ordre du mérite congolais. Par ce geste, le chef de l’État a souligné la place que le Congo-Brazzaville réserve au savoir comme vecteur d’influence douce, au même titre que la musique ou la diplomatie sportive. L’ovation qui a suivi la remise de l’écharpe, ponctuée des pas quasi rituels du groupe Kébé-Kébé, a clairement montré que science, culture et patrimoine peuvent encore fédérer au-delà des clivages partisans.
Parcours académique de référence
Né à Mbaya en 1936, formé à Bordeaux, Paris, Genève et Pittsburgh, docteur d’État ès lettres, Théophile Obenga incarne un cosmopolitisme scientifique que l’on peine parfois à retrouver chez ses contemporains. Auteur de vingt-cinq ouvrages majeurs et d’une cinquantaine d’articles, il a contribué à renouveler l’égyptologie par la thèse du « négro-égyptien », élaborée avec Cheikh Anta Diop. Sa démonstration de l’existence d’une matrice linguistique commune aux langues négro-africaines et à l’égyptien ancien demeure un jalon fondamental pour l’historiographie africaine. À San Francisco comme à Dakar, ses amphithéâtres furent autant de laboratoires d’une pensée décoloniale avant la lettre, aujourd’hui redécouverte par la nouvelle génération de chercheurs.
Une carrière au service de la diplomatie culturelle
Ministre des Affaires étrangères à la fin des années 1970, puis ministre de la Culture dans les années 1990, Obenga a toujours entretenu l’idée que l’identité culturelle constitue une dimension cardinale des relations internationales africaines. Son passage à la tête du CICIBA à Libreville, organisme panafricain dédié aux cultures bantoues, s’inscrit dans cette logique d’exportation d’un soft power régional avant la notion même ne soit popularisée. Plus récemment, son rôle consultatif auprès du président de la République a abouti à la création de l’Université Denis Sassou Nguesso à Kintélé, établissement qui ambitionne de devenir un hub scientifique d’Afrique centrale.
La distinction et ses résonances géopolitiques
En décorant un intellectuel dont l’œuvre rayonne sur trois continents, Brazzaville adresse plusieurs messages. D’abord, elle réaffirme l’importance stratégique accordée à la diplomatie du savoir, dans un moment où les initiatives globales en matière de transition énergétique, de préservation des forêts équatoriales ou de réforme de la gouvernance mondiale exigent une expertise endogène crédible. Ensuite, elle valorise la figure d’un érudit à l’indépendance d’esprit reconnue, signe que la République sait conjuguer respect des institutions et reconnaissance de la pensée critique. Enfin, elle rappelle que l’excellence académique peut constituer un instrument d’influence tout aussi déterminant que les infrastructures ou les partenariats sécuritaires.
Perspectives pour la jeunesse scientifique
« Je dédie cette distinction à la jeunesse éveillée du continent », a lancé le lauréat, visiblement ému. Cette phrase résonne comme une exhortation à reprendre le flambeau de la recherche fondamentale et appliquée, dans un contexte où l’Afrique tente d’installer durablement ses propres narratifs. Les prochains chantiers de l’enseignement supérieur congolais – digitalisation des bibliothèques, mise en réseau des laboratoires, mobilité universitaire sud-sud – trouveront, dans l’exemple d’Obenga, un levier d’inspiration. Le colloque international annoncé pour honorer son œuvre devrait, selon le ministère de l’Enseignement supérieur, se tenir au premier trimestre 2026. Il offrira une tribune supplémentaire pour consolider le positionnement du Congo comme plaque tournante de la diplomatie intellectuelle africaine.
Un legs pérenne dans la mémoire collective
Aujourd’hui affaibli par l’âge mais toujours consulté, le professeur ne cesse de rappeler que « la science n’appartient qu’à ceux qui la servent ». Cette maxime synthétise son parcours : rigueur académique, engagement civique et ouverture sur le monde. L’inscription de son nom au registre des Grands-Croix de l’Ordre du mérite congolais le place désormais aux côtés des figures qui ont marqué l’histoire contemporaine de la République. Au-delà de l’émotion, l’évènement renforce l’idée, partagée dans les cercles diplomatiques, que la modernité congolaise se construit aussi dans la reconnaissance de ses intellectuels, acteurs silencieux mais décisifs de la scène internationale.
