Un monument hydraulique aux ambitions panafricaines
À chaque oscillation du fleuve Congo, le site d’Inga semble rappeler aux décideurs la promesse d’un continent alimenté par une énergie propre, abondante et exportable. Les chefs d’État de la Communauté de développement d’Afrique australe réunis à Harare ont ravivé cette perspective en s’accordant sur un calendrier de relance graduelle du complexe hydroélectrique. Prévu pour atteindre 70 gigawatts grâce à sept barrages, Grand Inga dépasserait la capacité cumulée des centrales des Trois Gorges et d’Itaipu, érigeant la République démocratique du Congo en puissance hydroénergétique majeure. La Banque mondiale et la Banque africaine de développement, attirées par l’effet d’entraînement régional, ont formalisé un premier décaissement de 250 millions de dollars, prélude à un engagement potentiel d’un milliard destiné à Inga III.
Le prisme financier : entre mégawatts et milliards
Évalué à près de 80 milliards de dollars, le projet excède les capacités budgétaires de Kinshasa, dont les recettes publiques demeurent étroitement indexées à la volatilité des cours miniers. La structuration retenue repose donc sur une syndication de partenaires publics et privés, complétée par des garanties multilatérales destinées à atténuer le risque politique. Parmi les options évoquées à Harare figure un schéma « blend finance », combinant prêts concessionnels, obligations vertes et apport direct des compagnies minières régionales, grandes consommatrices d’électricité. Les électriciens sud-africains et namibiens, longtemps soucieux d’assurer leur propre sécurité énergétique, se disent prêts à contractualiser des achats à long terme, élément jugé déterminant pour la bancabilité du chantier (BAD, 2023).
Synergies dans le bassin du Congo : Brazzaville à la croisée des réseaux
Si la RDC détient le potentiel hydraulique, la République du Congo occupe un carrefour stratégique des interconnexions à haute tension qui irrigueront la sous-région. Soucieux de renforcer l’intégration économique de la CEMAC, le président Denis Sassou Nguesso s’efforce de promouvoir une approche complémentaire : la construction d’un poste d’évacuation de 400 kilovolts près de Pointe-Noire permettrait de capter une partie des flux d’Inga en direction de l’Angola et du Gabon. À Brazzaville, plusieurs diplomates voient dans cette perspective un levier pour diversifier une économie encore dominée par le pétrole et pour verdir son mix énergétique, conformément aux engagements climatiques pris à la COP27.
Architecture de gouvernance : leadership congolais recherché
Les juristes mandatés par la SADC ont proposé la création d’une entité supranationale, l’« Inga Hydropower Authority », dotée d’un capital majoritairement détenu par Kinshasa mais ouverte aux États raccordés. Bruno Kapanji Kalala, ancien ministre congolais des Ressources hydrauliques, plaide pour un portage politique clair : « La RDC doit demeurer chef d’orchestre afin que la valeur ajoutée bénéficie d’abord à ses citoyens ». Un tel leadership implique toutefois de renforcer la transparence contractuelle : après les critiques formulées dans les années 2010 autour de certains appels d’offres, le gouvernement s’est engagé à publier la liste des adjudicataires et à soumettre les contrats de concession à l’Assemblée nationale.
Enjeu climatique et diplomatie de l’eau
Dans un contexte de réduction des émissions, Grand Inga s’avance comme l’un des investissements verts majeurs au sud du Sahara. Selon les calculs du Programme des Nations unies pour le développement, l’exploitation complète du site pourrait éviter jusqu’à 100 millions de tonnes de CO2 par an en substituant du thermique charbonnier dans la région. Par ricochet, Kinshasa et Brazzaville augmenteraient leur poids dans les négociations climatiques, disposant d’un actif bas carbone susceptible de générer des crédits internationaux. Les autorités congolaises comptent d’ailleurs sur cet argument pour attirer des fonds d’adaptation destinés à la préservation des tourbières du bassin du Congo, régulateur climatique mondial.
Perspectives : chronogramme prudent, horizon prometteur
Les partenaires se gardent désormais de calendrier trop ambitieux. L’objectif réaliste évoqué à Harare fixe 2032 pour la première mise en eau d’Inga III, tandis que l’achèvement du septième barrage est projeté pour la fin des années 2040. Entre-temps, l’amélioration du climat des affaires et la coordination inter-étatiques constituera le véritable baromètre d’avancement. L’Afrique australe, dont la demande électrique devrait doubler en deux décennies, y voit une réponse structurante ; le bassin du Congo, lui, aspire à convertir son potentiel hydrographique en nouvelles chaînes de valeur. De la réussite de cette équation dépendra la place qu’occuperont Kinshasa et Brazzaville dans la géo-économie d’un continent avide d’infrastructures transnationales.