Le défi logistique congolais
Sous les lambris discrets d’un hôtel de Pointe-Noire, SOSEP Groupe a dévoilé le 16 juillet 2025 « Joukwa », application mobile d’approvisionnement B to B. Derrière l’annonce, se dessine une stratégie plus large visant à fluidifier la logistique import-export congolaise.
Cette initiative intervient alors que le gouvernement, fidèle aux orientations du Plan national de développement 2022-2026, multiplie les incitations destinées aux acteurs privés capables de réduire les coûts d’importation, améliorer la traçabilité des marchandises et soutenir la diversification hors pétrole de l’économie.
Une solution pensée comme guichet unique
Chargé des opérations, Abiguel Massouka souligne la nature avant tout « solutionniste » du projet. « Nos entreprises souffrent moins d’un manque d’idées que d’un manque d’outils », confie-t-il, rappelant que 80 % des litiges logistiques proviennent d’erreurs administratives plutôt que d’aléas maritimes.
Pensée comme un guichet unique, la plateforme permet de sourcer des fournisseurs certifiés, établir des devis instantanés, centraliser la documentation douanière et suivre en temps réel le transit, grâce à des interfaces API connectées aux compagnies maritimes et aux services des douanes.
L’une des innovations saluées par les importateurs reste la solution de paiement intégrée, indexée sur la Banque centrale, qui sécurise les règlements en devises tout en respectant la réglementation locale sur les changes, compliquée depuis le durcissement mondial des normes de conformité.
Diversification économique et chantiers publics
En rendant l’approvisionnement plus prévisible, « Joukwa » pourrait réduire la prime de risque sur les chantiers publics. Des économistes de l’Université Marien-Ngouabi calculent qu’un jour de retard logistique accroît le coût d’un projet d’infrastructure de 0,4 %, pression notable sur le budget national.
ZLECAF et compétition continentale
Depuis l’entrée en vigueur de la Zone de libre-échange continentale africaine, encore embryonnaire dans la sous-région, la concurrence logistique s’intensifie. Les opérateurs capables de digitaliser leurs flux disposeront d’un avantage, rappelle le Centre africain pour la politique commerciale, qui suit les corridors maritimes de l’Atlantique.
Côté gouvernemental, le ministère du Commerce extérieur dit « observer avec intérêt l’émergence de solutions privées conformes à l’agenda national ». La feuille de route douanière prévoit une dématérialisation totale d’ici 2027, jalon que les API ouvertes de SOSEP pourraient accélérer.
Échos des premiers utilisateurs
Du côté des utilisateurs pilotes, la société pétrolière Coraf note déjà une réduction de dix jours entre la validation de la commande et la mise FOB au port d’origine. « Cela représente plusieurs centaines de milliers de dollars d’économies sur les frais d’immobilisation », confie un cadre sous anonymat.
Les PME de la filière BTP, sensibles aux variations de trésorerie, voient dans la mutualisation des envois un moyen de préserver leurs marges. Le président de la Confédération des PME estime que l’accès groupé aux fournisseurs asiatiques constitue déjà un « saut qualitatif » pour les coopératives.
Sécurité, souveraineté et formation
Le principal frein identifié par les analystes demeure la confiance numérique. Selon le cabinet Sphinx, 62 % des décideurs congolais hésitent encore à centraliser leurs données de facturation sur le cloud. SOSEP assure héberger les serveurs dans un datacenter certifié Tier III à Brazzaville, respectant les normes de souveraineté.
La question de la cybersécurité se pose aussi pour les transactions sensibles liées aux industries extractives. Un partenariat a été signé avec la plateforme panafricaine ZoneSecure afin d’intégrer un module de chiffrement de bout en bout, ainsi qu’un système d’horodatage conforme aux standards de la CEMAC.
Déjà présent à Kinshasa, le groupe parie sur l’intégration régionale. Les échanges entre l’ouest congolais et la RDC devraient croître de 15 % cette année, estime Coface. En mettant un pied de chaque côté du fleuve, SOSEP espère capter le flux d’équipements destiné aux mégapoles minières du Katanga.
L’arrivée de Joukwa suscite aussi des besoins en compétences numériques. L’École nationale supérieure polytechnique discute d’un module consacré à la chaîne d’approvisionnement digital. Une trentaine de jeunes ingénieurs devraient être certifiés chaque année, renforçant le volet capital humain cher aux objectifs de développement durable.
Outre les gains financiers, la plateforme vise un impact environnemental. En consolidant les expéditions, l’empreinte carbone du fret pourrait diminuer. L’ONG GreenCongo évoque un potentiel de réduction annuelle de 5 000 tonnes de CO2 si 20 % du marché adopte la solution.
Vers une nouvelle diplomatie économique
Au Kenya, Lori Systems a déjà montré qu’une logistique digitalisée peut abaisser les coûts routiers de 10 %. Ces résultats inspirent les investisseurs congolais, conscients que la compétitivité dépendra moins des salaires que de l’efficacité de la chaîne d’approvisionnement.
SOSEP annonce vouloir étendre, d’ici deux ans, ses services aux procédures d’exportation des produits agro-forestiers, secteur identifié comme vecteur clé de l’industrialisation locale. À terme, la firme viserait une cotation sur la place boursière régionale, signal supplémentaire de la maturation de l’écosystème numérique congolais.
Au-delà de l’effet d’annonce, le test grandeur nature qui démarre cette rentrée dira si Joukwa tient ses promesses. Mais le simple fait qu’un acteur local se positionne sur la scène du commerce digital démontre l’alignement progressif du Congo sur les nouveaux impératifs de la diplomatie économique.
