Une diplomatie parlementaire en mouvement
Dans une conjoncture internationale marquée par le retour des polarisations et la recherche d’espaces de dialogue non gouvernementaux, Brazzaville et Abidjan ont choisi de faire du parlement un acteur de premier plan. La visite de travail effectuée en Côte d’Ivoire par Isidore Mvouba du 29 juin au 3 juillet, couronnée par la signature d’un mémorandum d’entente avec son homologue Adama Bictogo, illustre la montée en puissance de cette diplomatie parlementaire, désormais considérée comme un levier complémentaire aux canaux diplomatiques classiques.
L’accord scelle de manière formelle une coopération déjà nourrie par des affinités politiques et culturelles. Il institutionnalise des échanges réguliers entre commissions spécialisées, instaure un mécanisme de concertation sur les textes législatifs d’intérêt commun et ouvre la voie à des initiatives conjointes de médiation régionale. Autant d’outils susceptibles d’accroître la résilience institutionnelle des deux États face à des défis sécuritaires transfrontaliers complexes.
Un mémorandum à forte charge symbolique
Le document paraphé au Palais de l’Assemblée nationale d’Abidjan dépasse la portée protocolaire : il inscrit dans le marbre la volonté des deux chambres basses de « traverser les chantiers battus de la parole pour aller vers l’action », selon la formule reprise par Isidore Mvouba. Le texte prévoit notamment la création d’un agenda législatif partagé sur l’économie verte, écho direct à la désignation du président Denis Sassou Nguesso comme « champion de l’écologie » au sein de l’Union africaine.
En l’intégrant aux priorités de leur coopération, les deux Assemblées entendent démontrer que la législation peut devenir un moteur concret de lutte contre le réchauffement climatique, thème qui mobilise déjà la diplomatie congolaise autour de l’initiative de la Commission climat du Bassin du Congo. La Côte d’Ivoire, pour sa part, y voit un prolongement de sa stratégie de reforestation et de modernisation agricole.
Héritages et convergences présidentiels
Les propos tenus par Isidore Mvouba devant la presse rappellent la dimension historique de la relation : Denis Sassou Nguesso, fraîchement élu en 1979, avait trouvé chez Félix Houphouët-Boigny un mentor inspirant. Cette réminiscence éclaire la convergence de vues actuelle entre Brazzaville et Abidjan, l’une et l’autre convaincues que stabilité politique et développement économique ne peuvent prospérer sans un ancrage solide dans la paix sociale.
En saluant les « mesures d’apaisement » initiées par le président Alassane Ouattara, le président de l’Assemblée congolaise souligne une proximité de doctrine : privilégier le dialogue et la concertation plutôt que la confrontation. Les deux chefs d’État, chacun à sa manière, défendent l’idée que la souveraineté nationale se consolide par une gouvernance inclusive, ouvrant un terrain fertile à la diplomatie parlementaire.
Dialoguer pour stabiliser la région
Au-delà des bilatérales, le mémorandum ambitionne de jouer un rôle stabilisateur dans le Golfe de Guinée, région où les insécurités maritimes et les menaces terroristes s’imbriquent. Les présidents des deux Assemblées l’ont rappelé : le parlement, par sa capacité à fédérer les sensibilités politiques internes, est un vecteur crédible pour construire des positions communes devant les organisations régionales telles que la Communauté économique des États de l’Afrique centrale et la CEDEAO.
À court terme, la commission mixte envisagée pourrait se pencher sur l’harmonisation des législations relatives à la sécurité portuaire ou à la lutte contre le trafic illicite d’armes légères. À moyen terme, l’objectif est d’établir une plateforme d’échanges parlementaires élargie aux autres capitales d’Afrique centrale et de l’Ouest, vent debout contre toute tentation de repli national.
Vers une coopération normative et écologique
L’inscription de l’environnement dans le périmètre de la coopération n’est pas fortuite. Elle reflète la diplomatie écologique portée par Brazzaville depuis la Déclaration de Marrakech de 2016 et la COP 27, où le président congolais réitéra la nécessité d’une compensation financière pour les pays forestiers. Les parlementaires congolais, en emboîtant le pas à l’exécutif, entendent accélérer l’adoption de cadres législatifs innovants sur la valeur carbone des écosystèmes.
La Côte d’Ivoire, pour sa part, pilote un ambitieux Programme national de reboisement visant à porter son couvert forestier à vingt pour cent du territoire d’ici 2030. La synergie parlementaire pourrait faciliter l’échange de bonnes pratiques sur la traçabilité du bois, la fiscalité verte ou encore la création de fonds souverains dédiés à l’économie circulaire, autant de domaines où les deux pays souhaitent se positionner comme laboratoires continentaux.
Brazzaville, Abidjan et le multilatéralisme revisité
Le mémorandum s’inscrit dans une démarche plus large de diversification des partenariats. À l’heure où les anciennes puissances tutélaires font face à la concurrence de nouveaux acteurs extra-africains, les diplomaties congolaises et ivoiriennes misent sur des alliances horizontales, jugées plus respectueuses des souverainetés. Le dialogue parlementaire offre de surcroît un canal privilégié pour influencer les agendas des institutions multilatérales, du Parlement panafricain aux enceintes onusiennes.
En jetant les bases d’une interface permanente entre leurs hémicycles, Brazzaville et Abidjan envoient un signal aux bailleurs de fonds : la stabilité institutionnelle est au cœur de leur stratégie de développement. Dans l’immédiat, l’adoption de lois harmonisées sur la facilitation des affaires devrait rassurer les investisseurs, tandis que la convergence réglementaire en matière de gouvernance environnementale pourrait ouvrir l’accès à des financements verts, de plus en plus recherchés sur les marchés internationaux.
Une feuille de route pragmatique et évolutive
La signature du livre d’or par Isidore Mvouba, geste hautement symbolique, a clôturé une séquence dense en promesses. Reste désormais l’épreuve de la mise en œuvre. Les responsables des deux Assemblées savent que la légitimité d’un accord se mesure à sa capacité à produire des résultats tangibles. C’est pourquoi un calendrier triennal d’évaluation conjointe, assorti d’indicateurs de performance, devrait être présenté lors de la prochaine session interparlementaire.
En choisissant de lier leurs hémicycles par un outil juridique précis, le Congo et la Côte d’Ivoire misent sur la diplomatie des résultats, chère à Denis Sassou Nguesso comme à Alassane Ouattara. L’efficience de cette alliance fera écho, dans leurs capitales comme au-delà, au principe maintes fois rappelé par les deux dirigeants : l’Afrique progresse lorsque ses institutions dialoguent, légifèrent et innovent de concert.