Une constellation de talents financiers dans l’Indianocéanie
À l’intersection des alizés du canal du Mozambique et des courants commerciaux de l’océan Indien émerge une élite bancaire dont la moyenne d’âge peine à dépasser la quarantaine. Leur dénominateur commun n’est plus la simple maîtrise du crédit, mais l’aptitude à convertir les contraintes insulaires en levier d’innovations financières. Qu’il s’agisse de Hugues Bonshe Makalebo, devenu la voix du secteur auprès des patronats malgache et français, ou de Gervais Atta, pivot entre Antananarivo et l’Afrique de l’Ouest, chacun cultive un double patriotisme : l’ancrage local et l’ouverture archipélique. Une attitude que les observateurs de la Banque africaine de développement qualifient déjà de « capitalisme des confins », capable de capter des flux d’épargne extra-continentaux tout en irrigant les économies insulaires.
Finance inclusive et bancassurance intégrée : l’école AFG
À première vue, le tandem formé par Ina Kadiatou Diallo et Abissa Vance relève de la complémentarité classique entre banque et assurance. En réalité, leur modèle reproduit à échelle réduite la promesse d’inclusion financière exprimée par l’Agenda 2063 de l’Union africaine. AFG Bank, en moins de cinq ans, a quadrillé les zones périurbaines grâce à un réseau de micro-agences adossé à des produits d’assurance-santé de masse : un double accès au crédit et à la protection du risque qui, selon l’Autorité malgache de régulation bancaire, a fait augmenter de 12 % le taux de bancarisation formelle dans les districts couverts. Le recours systématique à la notation ESG pour chaque nouveau portefeuille illustre leur volonté d’aligner rentabilité et impact social, un discours longtemps cantonné aux rapports institutionnels mais désormais appliqué au guichet.
Diplomatie économique et soft power des entreprises
Le secteur pétrolier n’échappe pas à cet élan. À la tête de TotalEnergies Marketing Madagasikara, Marieme Sav Sow convertit le réseau de stations-service en vitrines de soft power français et en laboratoires d’autonomisation féminine. Lors du CEO Summit de l’océan Indien à Port-Louis, elle déclarait : « La compétitivité énergétique se gagne autant par la R&D que par la confiance sociétale ». L’initiative “Mommy & Me Corner”, espace dédié aux mères salariées, illustre la manière dont la diplomatie d’entreprise se décline dans des gestes symboliques. Dans une région où le déficit de confiance entre populations et multinationales demeure élevé, cette stratégie relationnelle contribue à stabiliser le climat des affaires, élément crucial pour les bailleurs.
Cap sur la digitalisation et l’outsourcing panafricain
La modernisation des infrastructures financières serait incomplète sans la dimension numérique. Le Camerounais Antoine Evrad Evouna Ossi pilote à BGFIBank Madagascar une refonte technologique articulée autour du mobile-banking et de la dématérialisation des garanties, un virage salué par l’AFD comme décisif pour la compétitivité des PME exportatrices. En parallèle, l’ancien cadre d’Atos, Guy Foka, fait du BPO un accélérateur de professionnalisation. Konecta Madagascar, qu’il dirige, emploie désormais plus de 5 000 opérateurs de relation client multilingues, offrant aux banques régionales un back-office à coût maîtrisé. Cette chaîne de valeur digitale externalisée renforce l’attractivité de l’île auprès des investisseurs indo-pacifiques, soucieux de sécuriser leur service après-vente francophone.
Vers un capitalisme archipélique durable
Au-delà des individualités, c’est la matrice même du capitalisme régional qui se recompose. Les acteurs du « second cercle », d’Anne-Catherine Tchokonté (Airtel) à Hossen Sako (énergie), participent à un entrelacs de gouvernance où chaque décision bancaire résonne sur le tourisme, la logistique portuaire ou l’économie bleue. Les forums successifs tenus à Moroni, Port-Louis et Tana traduisent cette conscience d’un destin partagé : celui d’une Indianocéanie qui ne veut plus dépendre exclusivement des cycles de matières premières. Les jeunes banquiers comprennent que la vigueur de leurs bilans se mesurera à la capacité de la région à verdir ses chaînes de valeur, sécuriser ses corridors maritimes et capter les capitaux de la finance climatique. Loin d’une simple success-story individuelle, leur trajectoire collective esquisse les fondations d’un espace économique où l’insularité n’est plus un handicap mais un argument géostratégique.