Washington mise gros sur l’acier transafricain
À Luanda, le 17ᵉ Sommet des affaires États-Unis-Afrique a pris des allures de grand-messe ferroviaire. Devant un parterre de chefs d’État et de ministres, Troy Fitrell, l’un des principaux architectes africains du Département d’État, a martelé « notre engagement est total » envers le corridor de Lobito. L’axe de 1310 kilomètres doit relier le port angolais de l’Atlantique à la Copperbelt zambienne en passant par les gisements katangais de la RDC. En clair, offrir aux minerais critiques africains un débouché maritime alternatif au réseau sud-africain et, implicitement, aux terminaux contrôlés ou financés par Pékin.
Une architecture financière encore mouvante
Le chiffre de 5 milliards de dollars, mis en avant par Washington, illustre l’ampleur de l’ambition mais aussi la fragmentation du tour de table. Conor Coleman, pour la Development Finance Corporation, parle de « travail sans relâche avec toutes les parties prenantes » afin de boucler un bouquet de dette concessionnelle, de garanties et de prises de participation privées. Or, la moitié des investisseurs identifiés ces derniers mois n’étaient pas engagés au lancement du projet, signe d’une prospection tous azimuts. L’Africa Finance Corporation, bras financier panafricain basé à Lagos, a déjà posé 500 millions sur la table. Reste à convaincre des fonds souverains du Golfe et plusieurs majors minières de convertir leurs lettres d’intention en capitaux tangibles.
Entre Luanda, Lusaka et Kinshasa, une convergence d’intérêts prudente
Pour l’Angola, le corridor est la pièce maîtresse d’une stratégie post-pétrole destinée à faire de Lobito un hub logistique régional. João Lourenço y voit un moyen de redynamiser une façade atlantique encore marginale face au port très conteneurisé de Walvis Bay en Namibie. La Zambie, lourdement dépendante des routes sud-africaines pour ses exportations de cuivre, y perçoit une réduction substantielle des coûts et des délais. Côté congolais, le gouvernement de Félix Tshisekedi espère désengorger les routes de l’ex-Katanga et sécuriser le flux de cobalt vers l’Occident, alors que les évacuations par Dar es-Salaam et Pemba demeurent aléatoires. Cette convergence reste toutefois sous-tendue par de délicats arbitrages douaniers et des négociations sur la répartition des droits de passage.
Rivalités internationales sur l’axe des minerais critiques
Au-delà de l’ingénierie ferroviaire, le corridor s’inscrit dans la rivalité sino-occidentale pour l’accès au cobalt, au cuivre et désormais au lithium. Depuis une décennie, les entreprises chinoises ont sécurisé leurs positions sur la ceinture cuivre-cobalt congolaise via des partenariats public-privé assortis d’infrastructures routières et énergétiques. L’initiative Américaine « Partnership for Global Infrastructure and Investment » cherche à contre-balancer cette avance. Un haut fonctionnaire du Conseil de sécurité nationale glisse en aparté qu’il s’agit de « proposer un choix crédible aux capitales africaines » sans pour autant verser dans un discours d’affrontement frontal. La diplomatie de l’offre, et non la dénonciation de la concurrence, est le mantra officiel.
Capacités locales, gouvernance et impératif social
Sur le terrain, les défis sont considérables. Les ateliers de Benguela, vestiges de la ligne coloniale, doivent être complètement modernisés pour accueillir des convois de 120 wagons. Les autorités angolaises évoquent la création de vingt mille emplois directs et indirects, mais les syndicats rappellent que la formation technique reste lacunaire. En RDC, l’Agence de prévention et de lutte contre la corruption alerte sur la nécessité de publier l’intégralité des contrats de sous-traitance afin d’éviter le siphonnage de revenus. Enfin, les ONG environnementales soulignent que la traversée des habitats du parc de l’Upemba impose des études d’impact renforcées pour limiter la fragmentation écologique.
Un laboratoire de diplomatie d’infrastructure
Le corridor de Lobito sert de banc d’essai à la doctrine américaine d’investissement « à valeur ajoutée locale ». En marge du sommet, la secrétaire américaine au Commerce, Gina Raimondo, a insisté sur l’alignement entre capitaux publics, expertise privée et exigences de transparence. Ce triptyque, s’il se matérialise, pourrait offrir un précédent virtuellement exportable au Kenya, au Mozambique ou au Sénégal, où de nouveaux tronçons ferroviaires sont en discussion. Pour Luanda, la visibilité accrue ouvre aussi des marges de manœuvre diplomatiques : l’Angola négocie désormais d’égal à égal avec les bailleurs, après avoir longtemps subi la rente pétrolière comme unique levier.
Perspectives : des rails à poser et du capital politique à préserver
L’annonce tonitruante de Luanda n’est qu’une étape. Le bouclage financier est attendu d’ici à la fin de l’année prochaine, tandis que la première locomotive pourrait théoriquement quitter Lobito en 2028. Le calendrier dépendra de deux variables : la stabilité politique dans les provinces minières et la capacité des partenaires occidentaux à maintenir le même niveau de priorité budgétaire dans un contexte de tensions internes. Comme le note Samaila Zubairu, « c’est un marathon d’ingénierie, mais aussi de diplomatie ». À moyen terme, le succès du projet pourrait redessiner les routes commerciales d’Afrique australe et consacrer Lobito comme porte atlantique des minerais de la transition énergétique. À défaut, le corridor rejoindrait la longue liste des promesses d’infrastructures inachevées qui jalonnent le continent.
