Un format inédit pour Doha
Depuis juillet, Doha héberge discrètement des pourparlers entre la République démocratique du Congo et la rébellion du Mouvement du 23 mars, mieux connu sous l’acronyme M23, dans l’espoir de transformer un cessez-le-feu fragile en règlement politique durable.
Le 19 juillet, les délégués ont signé une déclaration de principes fixant au 18 août la date cible d’un accord final. Si l’échéance n’a pas été tenue, le médiateur qatari affirme que le projet de texte circule désormais entre les délégations.
« Les deux parties ont répondu positivement », confie à la revue un responsable proche du dossier, précisant qu’une nouvelle session à Doha sera convoquée « dans les meilleurs délais » afin d’aplanir les questions sécuritaires et d’affiner le calendrier de désengagement militaire.
Le cœur du projet d’accord
Selon plusieurs sources diplomatiques, le brouillon s’articule autour de quatre chapitres : cessation des hostilités, cantonnement des rebelles, retours humanitaires sécurisés et mécanismes de vérification internationaux. Chaque point renvoie à un calendrier détaillé et à la mise sur pied d’équipes conjointes de suivi.
L’un des passages les plus sensibles traite de l’intégration de certains cadres du M23 dans l’armée congolaise, un sujet déjà expérimenté à l’issue des accords de 2013 mais qui avait achoppé sur la chaîne de commandement et les garanties de sécurité.
Kinshasa face à l’urgence sécuritaire
À Kinshasa, les conseillers du président Félix Tshisekedi insistent sur l’obtention d’un retrait « complètement vérifiable » des rebelles des villes de Goma et Bukavu avant toute mesure politique. Un diplomate congolais parle d’un « impératif de crédibilité » vis-à-vis des populations déplacées.
Les autorités notent toutefois que l’implication du Qatar, pays perçu comme neutre dans la rivalité entre Kigali et Kinshasa, offre une fenêtre pour élargir les garants au-delà des voisins immédiats et de la force régionale est-africaine déployée depuis 2022.
Le point de vue du M23
Du côté du M23, les porte-parole insistent sur la nécessité d’aborder « les causes profondes » du conflit, notamment la question des réfugiés congolais installés au Rwanda et en Ouganda, ainsi que la représentation politique des communautés rwandophones dans le Kivu.
Conséquences humanitaires et besoins urgents
Les affrontements récurrents ont provoqué, selon l’ONU, plus de 800 000 nouveaux déplacés depuis deux ans, portant à six millions le total des personnes déracinées dans l’est congolais. Les agences humanitaires réclament un accès sécurisé avant la saison des pluies.
Le projet d’accord prévoit la création de couloirs humanitaires codirigés par les Nations unies et la Croix-Rouge, avec participation d’observateurs qataris. Cette disposition, inédite dans la région, est saluée par plusieurs ONG qui y voient une garantie de neutralité supplémentaire.
La perspective régionale et continentale
L’Union africaine suit étroitement le dossier. Son Haut Représentant pour la région des Grands Lacs, l’ancien président angolais João Lourenço, coordonne déjà un processus de Luanda qui reste actif. Doha pourrait venir en appui plutôt qu’en concurrence, souligne un diplomate de l’UA.
La Communauté d’Afrique de l’Est, engagée militairement sur le terrain, observe avec prudence les avances qataries. Selon des sources kenyannes, Nairobi redoute une dilution de son influence mais reconnaît les ressources financières et la neutralité que le Qatar peut injecter.
Initiatives complémentaires de Brazzaville
Depuis Brazzaville, le président Denis Sassou Nguesso, doyen des dirigeants de la région, salue l’initiative qatarie tout en rappelant « la primauté des solutions africaines ». Son équipe diplomatique propose d’accueillir un comité de suivi mixte, associant Doha et l’Union africaine.
Les observateurs notent qu’un tel rôle conforterait la diplomatie congolaise-brazzavilloise, déjà impliquée dans la médiation centrafricaine. La proposition, jugée recevable par le Qatar, pourrait aussi rassurer Kinshasa, habitué à la médiation transfrontalière discrète de son voisin occidental.
Les garants internationaux
Washington et Bruxelles soutiennent le processus de Doha, mais insistent sur la cohérence avec les sanctions onusiennes visant le M23. Un diplomate européen assure que « tout assouplissement devra découler d’un arrêt total des offensives et du respect des droits humains ».
De son côté, Pékin, premier investisseur minier en RDC, encourage une solution rapide pour sécuriser la chaîne d’approvisionnement en cobalt. La diplomatie chinoise, friande de médiations discrètes, voit dans la plateforme qatarie une architecture complémentaire évitant l’exposition directe de ses propres émissaires.
Défis à court terme
Trois écueils demeurent : le statut de la frontière congolo-rwandaise, la démobilisation effective des combattants et la lutte contre les groupes armés résiduels, dont les FDLR. Chacun de ces dossiers nécessite un financement durable et un leadership politique hors des cycles électoraux.
Le médiateur qatari propose de s’appuyer sur un fonds fiduciaire multi-donateurs semblable au Mécanisme de financement pour la paix au Soudan. Les États-Unis, le Royaume-Uni et la Banque mondiale auraient marqué leur intérêt sans engagement chiffré à ce stade.
Scénarios possibles
Si le texte devait être paraphé lors du prochain round à Doha, une cérémonie de signature pourrait suivre à Brazzaville ou à Addis-Abeba, sous l’égide conjointe de l’Union africaine et du Qatar. À défaut, le risque d’escalade resterait élevé au-delà de l’hiver.
