Ce qu’il faut retenir
La séquence africaine du président français Emmanuel Macron, ouverte par l’escale mauricienne avant Pretoria, Libreville et Luanda, annonce une diplomatie repensée autour d’un concept interne baptisé « Gateway ». Objectif: déplacer le centre de gravité du dialogue vers les opportunités partagées plutôt que les urgences sécuritaires.
Paris promet ainsi des partenariats pragmatiques dans la culture, l’économie numérique, l’agro-industrie et la transition énergétique, en misant sur la complémentarité avec les visions nationales, notamment celle du Congo-Brazzaville dont la diplomatie verte s’affirme depuis le sommet des Trois Bassins.
Dans l’entourage d’Emmanuel Macron, on souligne « la volonté d’élaborer avec les chefs d’État africains des feuille-de-route à cinq ans, mesurables et révisables » (Élysée, 2024), un format qui correspond au souci de prévisibilité exprimé par Brazzaville au sein de la CEMAC.
Nouveaux axes de la diplomatie française
Le plan « Gateway » repose sur trois piliers : mobilité de la jeunesse, corridors d’investissement et coopération environnementale. Chaque pilier est doté d’un fonds dédié, cumulant deux milliards d’euros d’ici 2027 selon le ministère français des Affaires étrangères.
Concrètement, des passerelles universitaires nouvelles lieront l’université Marien-Ngouabi à des écoles d’ingénieurs hexagonales, tandis qu’un guichet bilatéral simplifiera l’octroi de visas chercheurs, mesure saluée par le recteur Abdon Baheku comme « un accélérateur de compétences partagées ».
Le rôle moteur de Brazzaville dans la CEMAC
Si Libreville accueille cette fois un Forum forêt-climat, Brazzaville reste, selon plusieurs diplomates, la « clef de voûte » du dispositif régional en raison de sa position sur le fleuve Congo et de son engagement constant pour l’intégration monétaire.
Le ministre congolais des Affaires étrangères, Jean-Claude Gakosso, rappelle que le corridor Pointe-Noire-Bangui-Ndjamena, soutenu par la France et la Banque mondiale, « redessinera le commerce intra-CEMAC » et figure parmi les projets pilotes retenus dans la feuille de route « Gateway ».
Dimension économique : un ‘Gateway’ pour les investisseurs
Face au ralentissement mondial, Paris cherche à sécuriser ses chaînes de valeur critiques en s’ouvrant au cobalt gabonais, au gaz angolais mais aussi au bois certifié congolais, dont les exportations vers l’Europe ont bondi de 22 % en 2023 selon la Douane française.
Le trésorier du Groupement des entreprises congolaises, Armand Ibata, voit dans la plateforme « Gateway Investments » hébergée à Brazzaville « un guichet unique qui va réduire les délais de bouclage financier de moitié, un saut qualitatif pour les PME locales prêtes à exporter ».
Patrimoines et mémoires partagées
Outre l’économie, la visite présidentielle comprend la restitution à l’État mauricien des archives de l’esclavage numérisées, prélude à des initiatives similaires pour le Congo où l’École nationale d’administration conserve d’importantes correspondances coloniales rarement mises à disposition des chercheurs.
Le directeur du musée national de Brazzaville, Roger Boukadia, négocie déjà un prêt d’œuvres auprès du quai Branly pour 2025, saluant « une circulation équilibrée qui nourrit la fierté des jeunes artistes congolais tout en offrant au public français une lecture renouvelée des échanges atlantiques ».
Climat : convergence sur le Bassin du Congo
Après la COP28, les experts climat français et congolais ont corédigé un mécanisme de paiement pour services écosystémiques qui valorise la séquestration de carbone des forêts inondées du Kouilou, un dossier considéré prioritaire par l’Agence française de développement.
Ce schéma, logé dans le fonds commun Bassin du Congo, devrait mobiliser 500 millions d’euros sur dix ans et renforcer l’Observatoire spatial d’Oyo inauguré par Denis Sassou Nguesso en 2021, présenté comme l’un des pôles techniques du « Gateway » écologique.
Le point juridique et financier
Les juristes de l’OHADA examinent la création d’un statut unique d’entreprise transfrontalière pour le Cameroun, le Gabon et le Congo, adossé à un tribunal d’arbitrage sis à Pointe-Noire ; Paris propose un appui technique via la Cour d’appel de Paris pour les litiges commerciaux.
Scénarios pour 2025
Dans le scénario central publié par l’Institut français des relations internationales, la CEMAC capterait 3 % des investissements directs français en Afrique d’ici 2025, contre 1,8 % aujourd’hui, à condition que les réformes logistiques et douanières en Afrique centrale restent sur leur rythme actuel.
Un scénario haut évoque un flux porté à cinq milliards d’euros si le corridor ferroviaire Brazzaville-Libreville reçoit l’appui de la Banque africaine de développement, tandis qu’un scénario bas, marqué par un recul de la gouvernance maritime mondiale, verrait ces flux stagner.
Et après ?
Les prochaines étapes seront discutées en juillet lors du sommet économique Congo-France à Pointe-Noire ; les organisateurs annoncent déjà la présence d’une quarantaine de PDG français et du secteur privé sous-régional, signe que le « Gateway » trouve un écho au-delà des chancelleries.
Pour l’économiste congolais Cédrick Mouini, « l’enjeu est d’inscrire cette dynamique dans la durée en renforçant les capacités locales : si le pays monte en gamme, la France restera un partenaire naturel, sinon les capitaux chercheront d’autres têtes de pont plus compétitives ».
Les grands médias africains consacreront un numéro spécial au déplacement d’Emmanuel Macron, tandis que Télé Congo prévoit une table ronde citoyenne pour analyser les retombées concrètes des accords signés.
