Brazzaville fait irruption dans le club des métropoles connectées
À la faveur d’un réseau fibre optique baptisé « Backbone », inauguré en 2023 et déjà opérationnel sur les deux rives du Congo, la capitale congolaise entend convertir son avantage géographique en atout numérique. Dans l’entourage du ministre des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique, on glisse que « la priorité est de transformer la connectivité en valeur ajoutée pour l’hôtellerie, la restauration et les services aux entreprises ». En d’autres termes, il s’agit d’élargir le modèle du port en eau profonde de Pointe-Noire, devenu un hub logistique régional, au domaine des services immatériels.
Le mouvement s’inscrit dans le sillage du Plan national de développement 2022-2026 qui identifie l’économie numérique comme l’un des quatre moteurs de croissance. Sans remettre en cause le triptyque pétrole-bois-minerais, cette diversification cible ouvertement la manne estimée par Nomads.com à plus de 80 millions de « travailleurs sans frontières » générant 9 700 milliards de dollars de revenus annuels. L’enjeu pour Brazzaville est clair : capter une fraction, même modeste, de cette circulation financière afin de soutenir l’emploi urbain hors secteur public.
L’île Maurice et le Cap-Vert, éclaireurs d’un modèle exportable en Afrique centrale
La pandémie de Covid-19 a fonctionné tel un révélateur. L’île Maurice a été la première du continent à lancer, dès 2020, un visa Premium valable douze mois renouvelables. L’exemption fiscale offerte aux détenteurs du visa, à condition que leurs revenus proviennent de l’étranger, a fait école. Selon l’Economic Development Board mauricien, chaque bénéficiaire injecte en moyenne 2 200 dollars par mois dans l’économie locale.
Le Cap-Vert, archipel longtemps positionné sur le tourisme balnéaire, a adopté une approche similaire. Exonération d’impôt sur le revenu, justificatif bancaire de 1 500 euros mensuels et séjour possible de six mois renouvelables ont permis d’attirer un millier de travailleurs nomades en 2023, d’après InvestCapeVerde. Ces pionniers démontrent qu’un État insulaire ou continental peut, avec une fiscalité adaptée et des infrastructures fiables, amplifier son image-pays et ses recettes en devises.
Un multiplicateur macroéconomique dopé par un pouvoir d’achat hors norme
Le rapport 2025 de Nomads.com rappelle qu’un nomade numérique gagne en moyenne 124 000 dollars par an et dépense sur place de 1 000 à 3 000 dollars mensuels. Pour des capitales où le PIB par habitant oscille entre 1 800 et 4 000 dollars, l’effet multiplicateur est substantiel. Les chambres d’hôtel inoccupées en semaine trouvent ainsi preneur, les espaces de coworking atteignent un seuil de rentabilité plus rapide, tandis que l’artisanat et la gastronomie locales bénéficient d’une clientèle exigeante mais curieuse.
À Brazzaville, la Fédération des entreprises du Congo estime que l’arrivée de 5 000 télétravailleurs d’ici 2027 générerait l’équivalent de 1 % du PIB en consommation directe, hors externalités positives sur l’image souveraine et la diplomatie économique. L’effet s’avérerait d’autant plus notable que la dépense est libellée majoritairement en devises, contribuant à la stabilité du franc CFA.
Sécurité, services et cadre législatif : attentes non négociables des expatriés 2.0
Une connexion à très haut débit n’est qu’une condition nécessaire. Les études de la Banque africaine de développement et de l’Union internationale des télécommunications convergent : santé de qualité, sûreté urbaine et stabilité politique arrivent en tête des critères de choix des nomades numériques. Dans ce registre, Brazzaville met en avant son indice de criminalité modéré pour la région et la réputation d’hospitalité de sa population.
En matière de santé, l’ouverture du Centre hospitalier universitaire de référence en partenariat avec le groupe marocain Akdital renforce la capacité d’accueil aux standards internationaux. Pour la sûreté, la police de proximité déployée depuis 2022 dans les grands axes de la capitale a fait baisser les délits de rue de 17 % selon les statistiques officielles. Le cadre législatif, lui, est en cours d’ajustement : un projet de loi sur la protection des données personnelles, inspiré du Règlement général européen, devrait être adopté lors de la prochaine session parlementaire, rassurant ainsi les entreprises étrangères sur la sécurité de leurs flux d’information.
Vers un visa congolais du nomade numérique : concertation et prudence
Interrogé en marge du dernier Forum de l’économie numérique de Cotonou, le directeur général de l’Agence de régulation des postes et des communications électroniques du Congo a confirmé « la volonté politique d’instituer un visa d’un an renouvelable assorti d’un seuil de revenus suffisant pour ne pas concurrencer le marché du travail local ».
Le ministère des Finances plaide, de son côté, pour une exonération d’impôt limitée aux revenus issus de l’étranger mais assortie d’une contribution forfaitaire à un fonds de tourisme durable. Cette option, inspirée du modèle costaricien, permettrait de financer la préservation des sites écotouristiques du bassin du Congo, consolidant l’argument d’attractivité naturelle.
Les consulats congolais à Paris, Londres et Toronto testent déjà une procédure dématérialisée de délivrance de visa. Si les indicateurs de connectivité maintiennent leur dynamique et que la stabilité macroéconomique se confirme, Brazzaville pourrait émettre ses premiers e-visas dédiés dès le second semestre 2025, rejoignant ainsi la courte liste des capitales africaines prêtes pour l’économie du télétravail global.
Au-delà de l’effet de mode, un outil diplomatique et économique pérenne
Loin d’un simple phénomène post-pandémique, le nomadisme numérique redéfinit les cartes de la diplomatie économique. Chaque télétravailleur agit comme un micro-ambassadeur, diffusant en temps réel son expérience sur les réseaux sociaux. Pour Brazzaville et ses partenaires de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, accueillir cette population hautement mobile revient à élargir le nombre de relais d’influence dans les capitales du Nord.
À terme, l’objectif implicite est double : stabiliser les recettes touristiques, souvent saisonnières, et stimuler un écosystème de startups capable de proposer des services à la carte pour une clientèle internationale. Dans ce contexte, la neutralité politique et la constance stratégique du Congo constituent des atouts majeurs, salués par plusieurs investisseurs interrogés lors du récent Africa CEO Forum.
Reste que la crédibilité d’une telle ambition passe par la poursuite des réformes structurelles en matière de gouvernance numérique et de facilitation des affaires. Conjuguée à une communication institutionnelle mesurée, cette trajectoire pourrait placer Brazzaville dans le peloton de tête des destinations africaines pour télétravailleurs globalisés, tout en consolidant la diplomatie d’influence portée par le président Denis Sassou Nguesso sur la scène continentale.