Ce qu’il faut retenir
La poignée de main échangée mardi à Kinshasa entre Isaac Herzog et Félix Tshisekedi marque un nouveau palier dans la stratégie africaine d’Israël, alors que la République démocratique du Congo espère sécuriser des soutiens technologiques et diplomatiques à l’approche de scrutins décisifs pour son avenir.
En moins de vingt-quatre heures, le président israélien aura visité Lusaka puis Kinshasa, illustrant une diplomatie du temps court mais du message fort : bâtir, au sud du Sahara, un réseau d’alliances capable de soutenir ses positions sur les dossiers globaux, du Sahel à l’ONU.
Kinshasa, escale stratégique pour Jérusalem
L’avion présidentiel s’est posé sous un soleil lourd, accueilli par la ministre des Affaires étrangères Thérèse Kayikwamba Wagner et un comité protocolaire réduit, signe que la visite se veut avant tout opérationnelle plutôt que cérémonielle.
Après les honneurs militaires, les deux chefs d’État se sont entretenus en tête-à-tête au Palais de la Nation avant de rejoindre leurs délégations ; selon la présidence congolaise, les échanges ont porté sur l’agriculture de pointe, la formation sécuritaire et la desserte énergétique des zones minières.
La RD Congo, devant lancer en 2024 un appel d’offres pour 27 blocs pétroliers et gaziers, voit dans l’expertise israélienne un moyen de concilier exploitation et protection environnementale, condition clé pour continuer d’attirer des financements verts venus d’Europe et des institutions multilatérales.
Une relation RDC–Israël en mutation rapide
Les deux pays n’ont renoué leurs liens qu’en 1982, après une brouille post-guerre du Kippour ; quarante ans plus tard, Kinshasa a publiquement soutenu l’entrée d’Israël comme observateur de l’Union africaine et promet, à terme, de transférer son ambassade à Jérusalem.
Pour le professeur Stéphane Kankanga, spécialiste de relations internationales à l’Université de Kinshasa, ce réalignement relève d’« une lecture pragmatique des intérêts nationaux », citant la cybersécurité, la gestion de l’eau et la médicalisation militaire comme domaines dans lesquels Tel-Aviv peut livrer des gains rapides.
En retour, Jérusalem espère voir s’exprimer à l’ONU une voix congolaise constante sur les questions proches-orientales, un atout précieux face aux votes parfois fluctuants du bloc africain, où l’Afrique du Sud, l’Algérie ou le Nigeria défendent une ligne plus favorable à Ramallah.
Cybersécurité et mines critiques, le cœur des négociations
La RDC a subi en 2023 plusieurs attaques sophistiquées contre ses registres électoraux et son réseau bancaire public ; un partenariat technique avec l’Israel National Cyber Directorate est en discussion pour former 200 ingénieurs et installer un centre d’alerte rapide à Kinshasa et Lubumbashi.
Tel-Aviv, pour sa part, s’intéresse vivement au tantale, au cobalt et à la coltanite congolais, indispensables aux chaînes de valeur du cloud et de la défense antimissile ; des sociétés israéliennes de négoce prospectent déjà au Katanga afin de sécuriser des approvisionnements à long terme.
Le gouvernement congolais souhaite que ces futures co-entreprises se doublent de transferts de compétences locales ; un projet de campus professionnel israélo-congolais, adossé à l’Université de Kolwezi, figure, selon nos informations, dans le mémorandum signé en marge de la visite.
L’Union africaine, théâtre des tensions symboliques
Depuis que la Commission de l’Union africaine a accordé en 2021 le statut d’observateur à Israël, plusieurs États mènent campagne pour geler cette décision ; la visite d’Herzog intervient alors que le prochain sommet d’Addis-Abeba, prévu en février, pourrait rouvrir le débat.
Kinshasa, membre influent de la Communauté économique d’Afrique centrale, défend qu’un État africain a le droit souverain de choisir ses partenaires ; un conseiller ministériel rappelle que l’Égypte et le Maroc coopèrent de longue date avec Israël dans la défense, sans que cela nuise à la solidarité panafricaine.
Le risque, soulignent certains diplomates, serait de voir la question israélo-palestinienne parasiter les priorités de l’agenda 2063 de l’UA, centré sur l’intégration économique, la sécurité alimentaire et la zone de libre-échange continentale, sujets jugés plus urgents par la majorité des capitales subsahariennes.
Scénarios d’ici le scrutin congolais
À douze mois de la présidentielle congolaise, l’entourage de Félix Tshisekedi espère que le soutien cyber israélien permettra de sécuriser la chaîne électorale, réduisant le contentieux post-vote ; un audit externe de la CENI, incluant des experts hébreux, est évoqué mais pas encore confirmé.
Si les élections se déroulent sans incident majeur, Kinshasa pourrait accélérer le transfert de l’ambassade vers Jérusalem, enregistrant ainsi un point symbolique pour Herzog ; en cas de crise, la priorité irait plutôt aux médiations régionales, laissant le dossier diplomatique en suspens.
Et après ?
La visite éclaire d’Isaac Herzog aura surtout consacré un principe : l’Afrique centrale n’est plus une périphérie dans la carte israélienne, mais un axe de croissance stratégique combinant ressources critiques et partenariats numériques ; pour la RDC, il s’agit d’un levier supplémentaire face aux appétits concurrents de Pékin et Washington.
Reste à traduire les protocoles signés en projets livrés ; une commission mixte doit se réunir en mars à Tel-Aviv pour fixer un calendrier, tandis que les investisseurs congolais espèrent déjà voir déboucher des joint-ventures dans les drones civils, l’irrigation solaire et la télémédecine.
