Ce qu’il faut retenir
La vague de nouvelles reconnaissances occidentales – Royaume-Uni, Canada, Australie – relance le débat sur l’État palestinien. Sur le continent, presque tous les gouvernements avaient déjà franchi le pas dans les années 1980. Deux capitales seulement s’en tiennent encore à une réserve prudente.
Il s’agit du Cameroun et de l’Érythrée. Leurs positions, souvent ramenées à un simple vote aux Nations unies, trouvent en réalité leurs racines dans des équations sécuritaires et historiques singulières, loin d’un quelconque rejet idéologique de la cause palestinienne.
Reconnaissance mondiale de la Palestine : impulsion récente
En moins de trois mois, Londres, Ottawa et Canberra ont officialisé leur reconnaissance, rejoignant les 145 États qui, selon l’ONU, acceptent la Palestine comme membre de la communauté internationale. Cette dynamique met les positions africaines en pleine lumière diplomatique.
À Alger, en 1988, Yasser Arafat proclamait l’indépendance palestinienne. Nombre de pays africains signaient alors un appui symbolique, dans la foulée des solidarités tiers-mondistes. Depuis, les votes à l’Assemblée générale confirment régulièrement ce soutien, à quelques abstentions près.
Un continent historiquement engagé
Thomas Sankara voyait déjà dans la cause palestinienne un miroir des luttes anticoloniales africaines; Nelson Mandela liait le combat contre l’apartheid à celui de Gaza et de la Cisjordanie. Cette mémoire militante pèse encore sur la diplomatie du continent.
Depuis les années 2000, l’Union africaine réaffirme à chaque sommet le droit des Palestiniens à un État viable, avec Jérusalem-Est pour capitale. Les 54 États membres endossent ces communiqués, preuve d’un consensus rarement pris en défaut.
Ce consensus ne masque pourtant pas la diversification des partenariats africains avec Israël, devenue puissance technologique et sécuritaire courtisée. C’est précisément sur ce terrain que le cas camerounais se singularise, sans rompre avec l’esprit de solidarité panafricaine.
Le pari sécuritaire de Yaoundé
Au palais d’Etoudi, la coopération avec Tel-Aviv est qualifiée de stratégique. Depuis les années 1980, des instructeurs israéliens assistent les unités d’intervention rapide et le Groupement présidentiel. Pour Yaoundé, la valeur ajoutée de ce partenariat se mesure en stabilité intérieure.
« Israël a contribué et continue de contribuer énormément à la protection du régime camerounais », rappelle l’analyste David Otto. Le lien sécuritaire s’accompagne d’une proximité politique avec Washington, autre partenaire clé. Dans ce scénario, une reconnaissance de la Palestine apparaît coûteuse.
Le gouvernement doit aussi gérer la crise dans les régions anglophones. Toute concession perçue à un mouvement d’autodétermination, même étranger, pourrait être exploitée par les groupes sécessionnistes locaux. Yaoundé adopte donc la méthode du silence, évitant vote négatif comme déclaration enthousiaste.
L’héritage de la lutte érythréenne
Asmara s’inscrit dans une tout autre chronologie. À la fin des années 1980, la guérilla érythréenne affrontait encore l’armée éthiopienne, tandis que l’Organisation de l’unité africaine, basée à Addis-Abeba, soutenait ouvertement l’OLP. Les courroies diplomatiques étaient alors fermées aux indépendantistes érythréens.
Pour Abdurahman Sayed, analyste originaire du pays, Yasser Arafat « a dû prendre ses distances avec les Érythréens » afin de préserver les bonnes grâces du régime éthiopien. Cette blessure historique a laissé un scepticisme durable à l’égard des grandes médiations Proche-Orientales.
Issaias Afwerki n’a pourtant jamais tourné le dos à la cause palestinienne. En 2012, l’Érythrée a voté pour le statut d’observateur non membre. Mais le président rejette toujours le processus d’Oslo, jugé incapable de garantir un réel droit à l’autodétermination.
Quelles marges d’évolution diplomatique ?
Dans un pays où la population est majoritairement musulmane, cette ligne dure suscite des interrogations, mais le discours officiel campe sur une solution fondée sur l’égalité des droits plutôt que sur la coexistence de deux États. L’opinion publique suit sans mobilisation massive.
Au-delà des motivations nationales, les deux États savent que leur marge de manœuvre reste étroite. Les pressions diplomatiques pourraient s’intensifier si une nouvelle résolution onusienne sur le statut palestinien était soumise au vote, exposant abstentions et votes contre.
Pour l’heure, aucune date n’est avancée. Yaoundé comme Asmara misent sur la discrétion pour ne pas compromettre leurs alliances sécuritaires respectives. À moyen terme, un changement de posture nécessiterait soit une recomposition régionale, soit une évolution substantielle du processus de paix.
Les capitales africaines favorables à la Palestine gardent toutefois un œil sur ces exceptions. Une adhésion camerounaise ou érythréenne renforcerait la voix collective du continent lors des négociations multilatérales, notamment sur la réforme du Conseil de sécurité où l’Afrique revendique davantage de sièges.
