Ce qu’il faut retenir
La conférence humanitaire de Paris, tenue mi-avril, a arraché 1,55 milliard d’euros de promesses pour la crise dans l’Est congolo-zaïrois. Ce chiffre, salué par les bailleurs, replace la RDC au cœur des priorités internationales.
Mais une interrogation traverse chancelleries, ONG et secteur privé : ces annonces, bien que substantielles, s’accompagnent-elles d’un dispositif opérationnel capable de transformer l’argent en sécurité durable pour les cinq provinces meurtries ?
Paris mobilise 1,5 milliard € pour la RDC
Sur le pupitre de l’Élysée, Félix Tshisekedi a dépeint un pays où plus de six millions de déplacés internes survivent sous les tentes, tandis que l’insécurité alimentaire touche près d’un quart de la population selon le Programme alimentaire mondial.
Devant des représentants français, allemands, britanniques, européens et des agences onusiennes, le chef de l’État a insisté sur la complémentarité entre aide humanitaire d’urgence, projets de relance agricole et investissements dans les infrastructures régionales.
Diplomatie de la compassion
Le registre émotionnel a dominé : listes de victimes, récits d’enfants déplacés, vidéos de villages incendiés, applaudissements rythmant la salle. Cette approche, testée depuis le sommet de Berlin sur le Sahel, répond à une attente d’opinion publique en quête de récits humanitaires concrets.
Cependant, en ne citant ni le Rwanda ni le M23, Kinshasa a privilégié une neutralité calculée. « Nous voulons la paix, pas la polémique », a glissé un diplomate congolais dans les couloirs, rappelant que toute accusation directe aurait risqué de braquer certains bailleurs.
Cette prudence ouvre la porte à des interprétations : faut-il comprendre que les causes politiques du conflit sont désormais reléguées derrière l’urgence humanitaire, ou, au contraire, que Kinshasa prépare discrètement un agenda diplomatique régional plus inclusif ?
Entre promesses et stratégie
Les 1,5 milliard d’euros annoncés représentent près de 3 % du budget congolais 2024, un souffle financier considérable. Pourtant, aucun calendrier de désarmement, de réinstallation ni d’évaluation indépendante n’a été distribué aux délégations.
Plusieurs experts de la Banque mondiale rappellent que, sans jalons publics – nombres de miliciens démobilisés, corridors routiers sécurisés, écoles rouvertes –, les versements risquent de s’enliser dans le suivi administratif, à l’image de programmes antérieurs dans l’Ituri.
Un conseiller financier français évoque la nécessité d’une double gouvernance : un secrétariat technique à Kinshasa et un mécanisme international de revue trimestrielle, comparable à ceux utilisés pour l’initiative COVAX. Pour l’instant, l’idée reste officieuse.
Accords régionaux et rôle des voisins
Ni les accords de Doha de 2022 ni la Feuille de route de Washington de 2023 n’ont été mentionnés au pupitre. Ces textes prévoyaient pourtant un désengagement progressif des groupes armés et un mécanisme de vérification transfrontalier.
À Kigali, des responsables rwandais observent qu’aucune invitation officielle ne leur est parvenue pour la conférence de Paris, signe selon eux d’un « parti pris ». Côté ougandais, on affirme attendre des précisions sur la gestion des réfugiés.
L’absence de partenariat structuré avec la Communauté d’Afrique de l’Est complique la crédibilité du plan, souligne une note interne de l’Union africaine consultée par notre rédaction. Sans ancrage régional, l’argent risque d’entretenir une « économie de camp » plutôt que de relancer l’agriculture frontalière.
Scénarios de mise en œuvre
Scénario optimiste : libération de centres miniers clés, retour partiel des déplacés, décaissement de 500 millions d’euros d’ici décembre, lancement de chantiers routiers Bukavu-Goma. Il suppose une médiation active de l’Angola et un cessez-le-feu monitoré par la MONUSCO.
Scénario médian : décaissements fragmentés, poursuite d’escarmouches autour de Bunagana, maintien de couloirs humanitaires mais blocage des retours. Les bailleurs consolident l’assistance, sans obtenir de changement politique majeur avant l’élection provinciale prévue en 2025.
Scénario pessimiste : reprise généralisée des combats, suspension des promesses, détournements documentés, retour de la rhétorique accusatrice entre Kinshasa et Kigali. La facture humanitaire franchirait alors les 2 milliards d’euros et la lassitude des donateurs s’installerait.
Et après ? Responsabilité partagée
Pour éviter le scénario noir, plusieurs associations congolaises proposent la publication en ligne, chaque mois, des données de dépenses et de sécurité, héritées du modèle Open Data Budgétaire. Un tel tableau de bord renforcerait la confiance et découragerait les surfacturations.
Les bailleurs, eux, réfléchissent à insérer des clauses de résultats dans les conventions. Selon un cadre de l’AFD, il s’agirait d’une première sur le continent dans la mesure où les tranches ne seraient débloquées qu’après vérification indépendante.
Comme le résume un chercheur de l’Université de Kisangani, « la paix n’est pas un don, c’est une co-production ». Si l’élan de Paris débouche sur un pacte exigeant mais transparent, 2024 pourrait marquer l’amorce d’une stabilisation attendue depuis deux décennies pour la région des Grands Lacs.
Le gouvernement congolais prévoit aussi une campagne diplomatique auprès de la CEEAC et de la SADC, afin d’inscrire la feuille de route dans les mécanismes africains de paix et sécurité, gage de cohérence et de suivi politique au-delà des bailleurs occidentaux.
