Une émotion partagée entre Paris et Brazzaville
La nouvelle est tombée le 30 juillet 2025 à l’Hôpital Cochin : Paul Tsouarès De M’Poungui s’est éteint à soixante-treize ans, après un long combat contre la maladie. À peine l’annonce faite, les réseaux d’expatriés congolais en France ont relayé ce départ avec une vive émotion.
Dès le soir du 9 août, une veillée à Épinay-sur-Seine a réuni diplomates, étudiants et entrepreneurs. « Il a défendu l’image du Congo jusque dans nos réunions associatives », confie Léon Ndzalé, président d’une amicale estudiantine. Le recueillement a rapidement pris la dimension d’un hommage national officieux.
Au ministère congolais des Affaires étrangères, on souligne « le sens du devoir » de l’ancien conseiller, assurant que les formalités de transfert seraient « menées avec célérité, en harmonie avec la famille et les autorités françaises ».
Trajectoire d’un architecte engagé
Arrivé à Paris au début des années 1970 grâce à une bourse d’État, Tsouarès s’est illustré à la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France, où il plaidait pour la souveraineté culturelle du continent. Ses camarades saluent encore sa verve et son goût du débat.
De retour à Brazzaville en 1992, il devient conseiller à l’habitat du président Pascal Lissouba. Son expertise d’architecte nourrit alors un ambitieux programme d’urbanisme orienté vers des matériaux locaux. « Il voyait l’architecture comme un facteur de cohésion », rappelle l’urbaniste Mireille Mabika.
Refusant néanmoins d’entrer au gouvernement, il préfère bâtir son cabinet en Île-de-France, y concevant des logements sociaux tout en soutenant la modernisation des communes congolaises. Cette position hybride entre diaspora et pays natal façonne la suite de son influence.
Un rapatriement orchestré au millimètre
Le transfert d’une dépouille internationale requiert un minutieux ballet administratif. À Cochin, le certificat de décès doit être transcrit au consulat du Congo. Les pompes funèbres françaises, habilitées en transport longue distance, coordonnent ensuite l’acheminement vers Roissy.
À Brazzaville, la Cellule de coordination des rapatriements veille sur les agréments sanitaires et les dérogations douanières. « Les échanges se sont déroulés sans friction, preuve d’une coopération consulaire mature », note un responsable de l’Aviation civile congolaise.
L’avion cargo prévu pour le 29 août atterrira à l’aéroport Agostinho-Neto de Pointe-Noire où un dispositif d’honneur, mêlant autorités locales et représentants de la famille, est annoncé. Le cercueil prendra ensuite la route vers Moukosso, district de Yamba, pour l’inhumation du 30 août.
Portée mémorielle et unité nationale
Le retour posthume de Tsouarès résonne au-delà du cercle familial. Dans la Bouenza, les chefs traditionnels parlent d’un « fils prodigue » qui avait toujours promis de servir sa terre natale. Des cérémonies coutumières sont prévues avant la mise en terre.
À Brazzaville, certains universitaires voient dans cet événement une manière de consolider le lien entre la capitale et les provinces. « La restitution des corps aux terroirs contribue à l’équilibre symbolique du pays », insiste le sociologue Jean-Claude Ntoumi.
Les autorités, elles, y perçoivent un renforcement du sentiment d’appartenance. Le porte-parole du gouvernement rappelle que « chaque Congolais, où qu’il vive, reste partie intégrante de la Nation », soulignant ainsi la politique inclusive promue depuis plusieurs années.
Quand la diaspora dialogue avec l’État
Au fil des préparatifs, la coordination entre consulats, famille et associations illustre le nouveau modèle de partenariat public-privé encouragé par Brazzaville. Les coûts du transport ont été partagés entre proches et mécènes, tandis que l’État a facilité l’exonération des taxes d’acheminement.
Cette synergie, saluée par le Conseil supérieur de la diaspora congolaise, s’inscrit dans l’agenda gouvernemental visant à attirer les compétences extérieures. « Honorer nos disparus renforce la confiance des vivants », résume Guy Mampouya, conseiller spécial chargé des communautés à l’étranger.
Une diplomatie funéraire en construction
La disparition de figures comme Tsouarès met en lumière un champ discret de la géopolitique africaine : la diplomatie funéraire. Paris et Brazzaville multiplient les conventions facilitant le rapatriement, avec un souci commun de dignité et de rapidité.
Selon la chercheuse française Anne-Laure Rodet, « ces pratiques consolident un soft power affectif, car elles traduisent la capacité d’un État à protéger ses citoyens au-delà des frontières ». Le Congo-Brazzaville y gagne un levier d’influence auprès de ses ressortissants dispersés.
À Moukosso, la tombe fraîche deviendra bientôt lieu de mémoire. Pourtant, la trajectoire de Paul Tsouarès demeure tournée vers l’avenir : elle rappelle que la modernisation du pays passe aussi par l’écoute de ceux qui, un jour, ont choisi l’exil sans jamais rompre le fil national.
