Ce qu’il faut retenir
À un mois du scrutin présidentiel camerounais, 41 chefs traditionnels de la région de l’Est ont apporté un soutien public à Paul Biya. Ce ralliement renforce une dynamique déjà forte dans les cercles coutumiers, considérés comme relais d’opinion influents en milieu rural.
Dans ce brief, nous décryptons les raisons culturelles et politiques de cette mobilisation, son poids électoral potentiel, et les scénarios qu’elle ouvre pour la dernière ligne droite de la campagne du Rassemblement démocratique du peuple camerounais.
Contexte historique des chefferies de l’Est
Le territoire forestier de l’Est abrite des chefferies réputées pour leur rôle d’arbitrage social depuis la période précoloniale. Les administrations successives ont entretenu avec elles un pacte de loyauté, souvent cimenté par des projets d’infrastructures ou des nominations honorifiques.
Dans les années 1990, alors que le pluralisme s’installait, la plupart de ces chefs ont publiquement choisi le président Paul Biya, jugeant son discours sur l’unité nationale compatible avec la préservation de leurs pouvoirs coutumiers.
La stratégie électorale du RDPC
Depuis juillet, le directoire de campagne a relancé le « grand dialogue communautaire », série de caravanes qui sillonnent les chefferies pour présenter le bilan du septennat et recueillir des doléances susceptibles d’être intégrées au programme 2025-2032.
Selon le porte-parole des chefs, Bertrand Effoudou, l’« accord avec les ancêtres » s’est traduit par un serment devant des masques sacrés, geste hautement symbolique dans la cosmologie Maka et Kaka, majoritaires dans la zone.
L’entourage de Paul Biya estime que ces endorsements coutumiers peuvent sécuriser jusqu’à 200 000 voix supplémentaires, soit un gain décisif dans plusieurs départements où la participation avait plafonné à 45 % en 2018.
Impact sociopolitique des chefferies
En milieu rural camerounais, le chef traditionnel incarne à la fois l’autorité morale, le juge de proximité et parfois le chef de terre. Sa prise de position guide celle des notables et, par effet de chaîne, celle des clans affiliés.
Des chercheurs du Centre d’études et de recherches géopolitiques de Yaoundé rappellent que, lors de la présidentielle de 2011, un engagement similaire dans le Nord-Ouest avait déplacé trois points de pourcentage en faveur du candidat soutenu.
Cette influence reste toutefois moins mécanique dans les centres urbains où les jeunes électeurs accordent plus de poids aux réseaux sociaux qu’aux injonctions des chefs. L’équipe du RDPC mise donc sur une hybridation entre communication numérique et relais coutumiers.
Le point juridique
Le code électoral camerounais autorise les chefs traditionnels à exprimer des opinions politiques, à condition qu’ils ne distribuent pas eux-mêmes de bulletins ni ne menacent ceux qui votent différemment. Aucune violation n’a pour l’instant été signalée par les observateurs.
La Commission électorale nationale indépendante surveille néanmoins l’utilisation d’attributs publics, tels que les panonceaux princeps ou les tam-tam officiels, qui pourraient être assimilés à des biens d’État. Une circulaire rappelle que ces symboles doivent rester neutres pendant la campagne.
Scénarios pour le 12 octobre
Si la mobilisation dans l’Est se maintient, les analystes prévoient un taux de participation supérieur à 60 %. Dans un scrutin où plusieurs opposants cherchent à coaliser, chaque point comptera pour franchir la barre de 50 % au premier tour.
Un scénario voit Paul Biya renforcer son score de 2018 grâce à un « bastion ceinture verte » reliant l’Est aux régions du Centre et du Sud. Un autre prévoit une dispersion des voix si les jeunes urbains se détournent.
Dans les deux cas, l’adhésion formelle des chefs offre au camp présidentiel une légitimité symbolique, souvent mise en avant dans les discours télévisés comme preuve d’unité nationale face aux défis sécuritaires à l’Extrême-Nord.
Et après l’élection ?
Les chefs interrogés disent attendre des retombées concrètes : routes carrossables, électrification rurale, microcrédits agricoles. « Le soutien est durable mais conditionné à l’action », confie Daniel Ngoa Nguele, citant les promesses de pavage encore en souffrance dans le Haut-Nyong.
L’entourage du ministre de l’Économie assure que des dotations spécifiques de 20 milliards de francs CFA sont fléchées vers l’Est dans le prochain budget, en complément des financements de la Banque africaine de développement pour le corridor Sangmélima-Ouesso.
Au-delà de l’échéance d’octobre, la question sera d’aligner gouvernance traditionnelle et institutions de la République pour accélérer la décentralisation. Une réforme en ce sens, examinée au Parlement depuis juin, pourrait intégrer les chefs dans les futurs conseils régionaux.
