Un vétéran du système qui franchit le Rubicon
Annoncée le 28 juin au Palais des congrès de Yaoundé, la candidature de Bello Bouba Maïgari, président de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès, a surpris moins par son principe que par son timing. Fidèle soutien du chef de l’État Paul Biya depuis plus de trois décennies, l’ancien Premier ministre (1982-1983) et actuel ministre d’État, ministre du Tourisme et des Loisirs, semblait avoir trouvé un équilibre confortable dans l’alliance tissée entre l’UNDP et le Rassemblement démocratique du peuple camerounais. En acceptant « à l’appel des organes compétents » de représenter sa formation à l’élection prévue en octobre 2025, le vétéran de 78 ans franchit néanmoins le Rubicon et brouille une frontière longtemps demeurée étanche entre allié institutionnel et prétendant à la magistrature suprême.
Les ressorts d’une décision mûrie
Au sein de l’UNDP, la question d’une candidature autonome se posait depuis la présidentielle de 2011, lorsque plusieurs cadres prônaient déjà une émancipation progressive vis-à-vis du RDPC. Les législatives de 2020, où le parti conserva ses sièges dans l’Adamaoua et l’Extrême-Nord mais recula dans le Centre, ont ravivé la réflexion stratégique. D’après un membre du bureau politique joint par nos soins, « il devenait indispensable de réaffirmer notre identité, sans pour autant rompre le dialogue avec l’exécutif ». La décision a donc été prise après « plusieurs mois de consultations internes », appuyées par l’aile jeune du mouvement qui craignait une érosion de la base militante si l’UNDP demeurait simple satellite de la majorité.
Un repositionnement nordiste face à Issa Tchiroma
Le scrutin de 2025 s’annonce plus ouvert que ne le laissent supposer les sociogrammes traditionnels. Quatre jours avant la déclaration de Bello Bouba, Issa Tchiroma Bakary, 76 ans, ex-ministre de l’Emploi et patron du Front pour le salut national du Cameroun, avait quitté le gouvernement afin de se porter candidat. Tous deux originaires du septentrion – Baschéo pour Bello Bouba, Maroua pour Tchiroma –, ils ont en ligne de mire les quelque cinq millions d’électeurs des régions Nord, Adamaoua et Extrême-Nord, considérées comme un réservoir décisif depuis la pluralité de 1992. Dans ces terroirs où la question du désenclavement et de la sécurité frontalière reste centrale, la bataille devrait se jouer sur la capacité à mobiliser les chefferies traditionnelles, la jeunesse rurale et la diaspora commerçante.
Alliance ou concurrence avec le RDPC ?
Pour l’heure, aucun cadre de l’UNDP ne prononce le mot « rupture ». « Pourquoi rompre une alliance si c’est pour la renouer après ? », s’interroge un participant au comité central, rappelant les accords d’investiture croisée conclus lors des municipales de 2020. La direction du RDPC, elle, observe encore une réserve calculée : officiellement, rien n’interdit à un partenaire de se présenter, pourvu qu’il réaffirme son soutien à la politique de Paul Biya. Dans les faits, l’entrée en lice de Bello Bouba complique la mécanique électorale de la majorité sortante, obligée de substituer une diplomatie de coalition à la démonstration de force verticale à laquelle elle s’était habituée.
Le précédent de 1992 en filigrane
Bello Bouba aime rappeler qu’il fut déjà candidat à la première présidentielle pluraliste d’octobre 1992, scrutin au résultat encore aujourd’hui disputé. À l’époque, il avait obtenu 19,2 % des suffrages, avant de se rapprocher du pouvoir central au nom de la stabilité. Trente-trois ans plus tard, l’homme se présente comme le garant d’une transition « sans convulsion », conciliant loyauté institutionnelle et alternance douce. Ce positionnement modéré séduit certains bailleurs préoccupés par la continuité des grands chantiers d’infrastructures et la gestion du bassin du Lac Tchad, théâtre d’enjeux sécuritaires transfrontaliers.
Quels scénarios pour l’après-2025 ?
À Yaoundé, diplomates et analystes voient se dessiner trois scénarios. Le premier, classique, verrait l’électorat nordiste se disperser entre Bello Bouba, Issa Tchiroma et le candidat du RDPC, réduisant l’impact de chaque prétendant et reconduisant la majorité actuelle. Le deuxième miserait sur un retrait tactique de l’un des deux ministres candidats, en échange d’un portefeuille régalien ou d’une présidence d’assemblée, hypothèse que certains cadres de l’opposition jugent plausible. Le troisième, plus disruptif, supposerait la cristallisation d’un vote régional solidaire susceptible de forcer un second tour inédit dans l’histoire politique camerounaise.
Entre prudence institutionnelle et quête de visibilité
En déclarant qu’il « respectera les dispositions constitutionnelles relatives à la démission », Bello Bouba signale sa conscience des enjeux protocolaires. Sa sortie du gouvernement, annoncée comme imminente par un proche, lui conférera la liberté de ton indispensable pour critiquer, sans heurter, la gouvernance actuelle. Ce numéro d’équilibriste demeure cependant périlleux : toute dissonance trop marquée avec le RDPC pourrait être interprétée comme une trahison, tandis qu’un discours trop conciliant risquerait de décevoir les partisans d’un changement plus affirmé.
Un pari à haut risque mais à forte valeur symbolique
À travers cette candidature, l’UNDP entend démontrer qu’un parti allié peut redevenir force de proposition sans rompre l’architecture institutionnelle. La démarche, si elle réussissait, offrirait un précédent intéressant pour d’autres formations de la sous-région évoluant dans l’orbite de majorités dominantes, notamment en Afrique centrale. Elle pourrait aussi renforcer le pluralisme interne au sein même de la mouvance présidentielle, contribuant à la maturation d’une culture de coalition encore balbutiante à l’échelle nationale.
Une fenêtre d’opportunité pour la diplomatie régionale
La Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale suit de près l’évolution du paysage politique camerounais. La tenue d’un scrutin apaisé, compétitif et crédible serait un signal positif pour la stabilité régionale, à l’heure où plusieurs États riverains s’emploient à renforcer leurs mécanismes de prévention des crises post-électorales. De sources diplomatiques, il ressort que plusieurs missions d’observation anticipée sont déjà envisagées afin d’accompagner le processus, dans le respect de la souveraineté camerounaise et des dispositions de la Charte africaine de la démocratie.
Le temps long d’un candidat qui ne joue plus les seconds rôles
En définitive, la candidature de Bello Bouba Maïgari s’inscrit dans un temps long, celui d’un acteur qui n’a jamais cessé d’être une figure du système tout en cultivant une marge d’autonomie. À quatorze mois du scrutin, la dynamique demeure incertaine, mais l’effet d’annonce est indéniable : en donnant rendez-vous aux électeurs du Cameroun, le ministre d’État rappelle que la politique nationale peut encore réserver des révélations, même après quatre décennies de gouvernance ininterrompue.