Ce qu’il faut retenir
La santé mentale figure désormais parmi les priorités humanitaires. L’Organisation internationale pour les migrations presse gouvernements, bailleurs et ONG de renforcer les budgets consacrés au soutien psychosocial, alors que seuls 2 % des dépenses sanitaires mondiales lui sont dédiées, pénalisant migrants et déplacés.
Contexte mondial
Depuis la pandémie de Covid-19, le nombre de personnes ayant besoin d’un soutien psychosocial a augmenté de 25 % selon l’OMS. Cette hausse s’observe dans les pays riches mais se révèle particulièrement aiguë dans les zones de conflit où l’aide humanitaire peine à suivre.
L’Objectif de développement durable 3 vise l’accès universel à la santé mentale d’ici 2030. D’après la Banque mondiale, l’écart de financement annuel atteint encore 25 milliards de dollars, dont 4 milliards pour l’Afrique. L’OIM alerte sur un possible non-respect de l’échéance.
L’appel de l’OIM au cœur de la Journée mondiale
Le 10 octobre, la directrice générale Amy Pope a rappelé que « lorsque des personnes perdent tout, leur dignité dépend aussi d’un accompagnement psychologique ». L’agence onusienne, forte de sa présence dans 171 États, veut éviter que les crises fassent sombrer la santé mentale dans l’angle mort humanitaire.
Dans un communiqué diffusé depuis Genève, l’OIM souligne que la pénurie de financements a déjà compromis, en 2025, vingt opérations prévues au Tchad, au Mozambique, au Niger ou encore en Afghanistan, exposant 3,8 millions de personnes à un risque d’abandon thérapeutique.
Un déficit budgétaire criant
Selon l’OMS, la moitié des pays d’Afrique subsaharienne disposent de moins de un psychiatre pour 100 000 habitants. Les lignes budgétaires se limitent souvent au fonctionnement des hôpitaux, laissant de côté la prévention communautaire et les interventions d’urgence en mobilité.
À l’échelle mondiale, 2 % du budget sanitaire moyen est dédié à la santé mentale, mais le ratio tombe à 0,5 % dans certains États fragiles. L’OIM plaide pour un seuil minimal de 5 %, qui permettrait de recruter psychologues, médiateurs culturels et travailleurs sociaux.
Migrants et déplacés : vulnérabilités croisées
Sur les routes migratoires d’Afrique centrale, les exils forcés s’allongent en moyenne sur dix ans. Les personnes traversent violences, pertes familiales et incertitudes légales qui multiplient par trois le risque de dépression majeure, selon une étude conjointe de l’OIM et de l’Université de Yaoundé.
À ces traumatismes s’ajoutent les obstacles administratifs. Sans statut juridique clair, nombre de migrants doivent avancer des frais médicaux qu’ils ne possèdent pas, tandis que les programmes de prise en charge ne couvrent pas toujours les idiomes locaux ou les références culturelles nécessaires à une thérapie efficace.
Le point juridique
Le Pacte mondial pour des migrations sûres et régulières, adopté en 2018, engage les États à assurer aux migrants un accès « non discriminatoire » aux soins, y compris psychologiques. Toutefois, seuls 63 pays ont intégré cette clause dans leur droit interne, d’après l’OIM.
En Afrique centrale, la CEMAC planche sur un protocole sanitaire harmonisé qui sécuriserait le transfert des dossiers médicaux des déplacés. Les experts estiment qu’un cadre commun faciliterait la mobilité des psychologues et l’agrément de la télé-médecine entre États membres.
Données cartographiques et tendances
Une carte interactive publiée par le Centre africain de recherche sur les déplacements internes montre que 9,6 millions de personnes se trouvent à moins de 50 km d’un service de santé mentale formel. Au Congo, ce ratio atteint 68 %, un des meilleurs scores de la sous-région.
Focus Congo-Brazzaville : avancées discrètes
À Brazzaville, le ministère de la Santé a lancé en 2022 un plan pilote de télé-consultation psychologique avec l’appui de l’OIM et de la Banque mondiale. Quatre centres urbains relient déjà des psychologues à distance avec des déplacés internes hébergés dans les quartiers périphériques.
Le docteur Honoré Boukaka, coordinateur du dispositif, note une baisse de 15 % des symptômes anxieux chez les patients suivis. « Le numérique réduit le coût des séances et renforce la confidentialité », précise-t-il, soulignant l’importance de pérenniser les fonds après la phase expérimentale.
Scénarios de financement innovant
L’OIM explore des partenariats avec les plateformes de transfert d’argent pour prélever un micro-centime par transaction et alimenter un fonds régional dédié à la santé mentale des mobiles. Les discussions engagées à Douala pourraient aboutir à une première levée de six millions de dollars.
Un second mécanisme, inspiré des obligations à impact, serait adossé aux recettes futures des forêts communautaires afin de financer des équipes mobiles de psychologues écologistes formés au traumatisme des éco-déplacés. Le Congo figure parmi les pays pilotes choisis pour valider ce modèle.
Et après ?
La résolution sur la santé mentale que la prochaine Assemblée mondiale de la santé doit examiner prévoit un indicateur spécifique pour les migrants. Si elle est adoptée, Brazzaville gagnerait un levier supplémentaire pour mobiliser l’expertise multilatérale et crédibiliser ses projets face aux bailleurs.
Dans l’intervalle, l’OIM appelle à sanctuariser les budgets 2024 dès les lois de finances. Pour l’agence, chaque dollar investi en soutien psychosocial génère un retour économique de cinq dollars, en raison de la productivité retrouvée et de la diminution des coûts médicaux associés et des dépenses sociales évitées.
