Cap sur une capitale plus sûre
Au lendemain d’une série de descentes musclées dans les arrondissements nord de Brazzaville, les riverains notent déjà une baisse palpable des agressions nocturnes.
L’opération, conduite par la Direction générale de la sécurité présidentielle sous l’autorité du général Serge Oboa, s’inscrit dans la stratégie gouvernementale de restauration de la quiétude urbaine sans remettre en cause la compétence première de la Police nationale.
Selon le dernier rapport interne du ministère de l’Intérieur, les plaintes enregistrées au commissariat du Plateau ont chuté de 34 % en deux semaines, un indicateur présenté comme un « signal encourageant » par le colonel Armel Okandzi, porte-parole adjoint.
Le public y voit surtout la fin provisoire des expéditions violentes menées par de jeunes délinquants surnommés koulouna, dont la visibilité, depuis 2013, alimentait une anxiété dont se plaignaient commerçants, transporteurs et familles.
Le rôle central de la DGSP
Pourtant, la mobilisation de la DGSP, unité à vocation présidentielle, interroge juristes et ONG sur la séparation des missions entre forces armées et forces de police, un débat récurrent dans plusieurs capitales d’Afrique centrale.
Créée en 1997, la DGSP a longtemps concentré la protection rapprochée du chef de l’État et la sécurité des palais officiels ; sa mise à contribution dans les quartiers populaires traduit l’approche plus intégrée préconisée par le Conseil national de sécurité.
Pour le politologue Grégoire Kayo, « la présence d’une unité d’élite crée un effet dissuasif immédiat, tout en envoyant un message de fermeté indispensable ». Il souligne toutefois la nécessité d’un passage de relais progressif vers la Police, mieux ancrée localement.
Dans un entretien avec Télé Congo, le général Oboa a insisté sur « la proportionnalité des moyens », affirmant que chaque interpellation est filmée et communiquée au parquet, afin d’écarter l’idée d’une justice expéditive.
Sur le terrain, des patrouilles mixtes associent officiers de police judiciaire et gendarmes de la DGSP, un dispositif inédit qui, selon le commissaire principal Guy Mavoungou, « augmente la remontée de renseignements et accélère les flagrants délits ».
Jeunesse, emploi et racines sociales du risque
Derrière la question sécuritaire se cache un enjeu socio-économique tout aussi brûlant : près d’un jeune sur deux est sans emploi stable, selon l’Observatoire national de l’économie, une vulnérabilité qui nourrit l’économie parallèle et le trafic de stupéfiants.
Le gouvernement a dégagé cinq milliards de francs CFA pour le programme d’appui aux micro-entreprises lancé en mars, ciblant prioritairement les anciens jeunes en difficulté des quartiers Makélékélé et Talangaï.
À Bacongo, Steven, vingt-deux ans, raconte qu’il a troqué la « débrouille » contre un atelier de soudure : « Quand on gagne 6 000 francs par jour, on n’a plus besoin d’arracher des sacs ». Son témoignage est repris par plusieurs radios locales.
Cette dimension préventive, soulignent les économistes Marcel Ngambo et Danièle Goma, constitue le « chaînon manquant » : sans perspectives, l’effet de dissuasion se dissipe, et la spirale violence-répression se reconstitue.
Le ministère de la Formation professionnelle annonce parallèlement l’ouverture de trois centres de codage informatique avec appui de la Banque africaine de développement, afin de préparer les jeunes à l’économie numérique, segment où la demande de main-d’œuvre progresse chaque année de 15 %.
Gouvernance sécuritaire et cadre juridique
La Constitution de 2015 rappelle que la défense de l’ordre public relève d’abord de la Police, sous contrôle du parquet. Dans les faits, la coopération armée-police reste permise lorsque la menace excède les capacités classiques, à condition d’être expressément autorisée.
Le ministre de l’Intérieur Raymond Zéphirin Mboulou a assuré devant le Sénat que l’arrêté interministériel encadrant l’opération existe et sera publié « à échéance rapprochée », écartant toute idée d’un vide réglementaire.
Pour Me Claudine Bissila, avocate au barreau de Brazzaville, publier le texte renforcera la traçabilité judiciaire : « Cela permettra aux juges de vérifier la chaîne de commandement et de prévenir d’éventuels contentieux devant la Cour constitutionnelle ».
Quelles perspectives pour 2026 ?
À l’horizon de la prochaine présidentielle, l’enjeu sécuritaire prend une coloration politique. Les partenaires internationaux suivent le dossier, y voyant un test pour la gouvernance et la stabilité de l’environnement d’affaires.
Le FMI, engagé dans un programme avec Brazzaville, rappellera à l’automne son attachement à la transparence et à l’État de droit, rappelant que climat de sécurité et discipline budgétaire sont intimement liés.
Pour l’heure, la majorité présidentielle insiste sur la poursuite simultanée des réformes économiques, de l’inclusion sociale et d’une politique sécuritaire « ferme mais juste », estimant que ces trois piliers structurent la vision Congo 2030.
L’opposition parlementaire, quant à elle, réclame un débat à l’Assemblée afin d’évaluer trimestriellement les résultats et le coût de l’opération, une proposition accueillie avec intérêt par la commission Défense.
Au-delà des clivages, la société civile juge essentiel de pérenniser les comités de vigilance communautaire mis en place pendant les opérations, convaincue que la proximité reste la meilleure arme contre la criminalité urbaine.