Siliki Akwa, visage émergent de la créativité
Sur les hauteurs verdoyantes de Douala, Siliki Akwa façonne une aventure entrepreneuriale rare. Issue d’une famille d’enseignants, la Camerounaise se rêve depuis l’enfance en passerelle culturelle entre continents. Sa start-up, Akwa Arts Hub, multiplie expositions, ateliers et résidences créatives.
Son mot d’ordre est limpide : « valoriser l’Afrique à travers chacune de mes productions ». Dans les studios aux murs chamarrés, elle raconte souvent comment les plus jeunes, fascinés par les esthétiques urbaines, découvrent aussi des textiles traditionnels ou des rythmes bantous préservés par les griots.
La culture, levier économique régional
Le projet séduit rapidement des bailleurs africains et européens. Selon l’économiste Clément Mbandza, « les industries créatives représentent jusqu’à 3 % du PIB régional ». L’argument pèse : en dix-huit mois, Siliki Akwa a embauché vingt-deux collaborateurs et vendu plus de 4 000 pièces artisanales.
À Brazzaville, le ministère de la Culture observe l’initiative avec intérêt, y voyant un modèle duplicable pour stimuler la filière congolaise du design textile. Un protocole d’accord signé en juin prévoit des formations croisées entre le Musée Poto-Poto et le Hub camerounais.
Éduquer pour consolider l’identité
L’approche régionale n’est pas fortuite. Le Bassin du Congo compte une jeunesse majoritaire, férue de numérique et de contenus visuels. Pour Siliki Akwa, la transversalité linguistique et artistique reste la clef d’une diplomatie douce capable de renforcer les liens entre Yaoundé et Brazzaville.
Les programmes éducatifs constituent le second pilier de sa stratégie. Chaque trimestre, le Hub accueille des collégiens pour un parcours mêlant histoire de l’art africain et codage d’applications mobiles. « Nous voulons qu’ils soient producteurs de récits, pas simples consommateurs », insiste-t-elle.
Cet accompagnement a reçu l’appui technique de l’UNESCO et d’une fintech congolaise qui subventionne les licences logicielles. Les parents observent une amélioration des résultats scolaires, attribuée à la créativité. Pour l’anthropologue Marie-Lydie Moukala, le programme « réactive l’orgueil identitaire sans exclure l’universel ».
Financer l’innovation artistique
Sur le plan financier, la jeune entreprise joue la prudence. Soixante pour cent du chiffre d’affaires provient de la vente d’œuvres, le reste de formations et de prestations événementielles. Un fonds d’impact basé à Pointe-Noire envisage toutefois d’entrer au capital, signe d’une confiance régionale élargie.
La visibilité internationale s’est accrue après une sélection à la Biennale de Dakar. Le critique sénégalais Amadou Ba estime que « le détour par le quotidien, les parures et le jazz makossa crée un langage plastique immédiatement lisible ». Cet écho médiatique renforce l’ambition d’un marché global.
Au-delà de l’esthétique, l’entrepreneure voit dans la culture un facteur de résilience économique. Les revenus créatifs, souligne-t-elle, « sont moins soumis aux cours des matières premières ». Le ministère congolais des Finances partage cet intérêt et prépare une incitation fiscale pour les start-ups culturelles.
Fluidifier les échanges sous-régionaux
La question logistique demeure toutefois sensible. Les frontières terrestres connaissent encore des lenteurs administratives. Siliki Akwa mise sur le lobbying diplomatique pour instaurer un carnet ATA simplifié. L’initiative reçoit le soutien discret de la Commission de la CEEAC, soucieuse d’insuffler davantage de fluidité commerciale.
Sur le terrain, les créateurs jonglent avec des problèmes très concrets : coupures d’électricité, manque de pigments locaux, acheminement de toiles. Akwa Arts Hub a investi dans des panneaux solaires et implante une mini-fabrique de pigments à base de latérite, projet cofinancé par l’AFD.
Protéger l’œuvre et le talent
L’autre enjeu concerne la protection intellectuelle. Plusieurs croquis ont déjà été copiés et mis en ligne sans autorisation. Un partenariat avec l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle est en cours. Les juristes congolais proposent aussi un cadre pilote pour sécuriser les créateurs via la blockchain.
Diplomatie culturelle et intégration
Du côté de la diplomatie culturelle, Brazzaville accueillera en décembre une exposition conjointe présentant dix artistes camerounais et dix artistes congolais. La commissaire Yolande Ibata voit dans ce format un prélude à un marché unique de l’art, aligné avec la Zone de Libre-Échange Continentale.
Pour la sociologue Émilienne Ngoma, « la circulation des œuvres nourrit aussi un récit commun, nécessaire à la stabilité politique ». En écho, les autorités congolaises soulignent la complémentarité entre créativité et cohésion sociale, un axe stratégique détaillé dans le Plan national de développement en cours.
Cap sur l’expansion panafricaine
À terme, Siliki Akwa envisage d’implanter un second Hub à Oyo, cité universitaire située au bord de la Likouala, afin de renforcer le maillage sous-régional. « Je veux que chaque enfant, de Libreville à Dolisie, sente que son patrimoine est attendu sur les scènes du monde ».
Les observateurs avertissent néanmoins que la réussite du modèle dépendra d’un accès accru aux financements bancaires. Le taux moyen de 12 % appliqué aux PME culturelles reste élevé. Un dialogue est engagé avec la Banque de Développement des États d’Afrique Centrale afin d’ajuster les garanties.
En attendant, la Camerounaise poursuit son tour des capitales africaines. Elle présentera cet automne une collection capsule à Kinshasa, avant de participer au Sommet de la francophonie à Djerba. Chaque date, assure-t-elle, « est une occasion supplémentaire de dire que nos traditions riment avec futur ».