Ce qu’il faut retenir
En trois ans, Starlink a conquis vingt-quatre marchés africains et vise vingt nouveaux pays d’ici décembre. Ses terminaux, faciles à installer, promettent un accès haut débit là où la fibre ou la 4G n’arrivent pas.
Au Sahel, zone critique reliant l’Ouest à l’Afrique centrale, cette couverture ouvre l’internet à des villages oubliés mais sert aussi de colonne vertébrale numérique aux groupes armés, compliquant le travail des forces de sécurité nationales et partenaires.
Contexte sahélien
Le corridor sahélo-saharien cumule instabilité politique, désertification, faible électrification et pénétration d’internet sous la moyenne mondiale à 43 %. Pour les opérateurs, relier ces distances coûte cher, laissant un vide technologique.
L’essaimage djihadiste depuis 2012 a accentué la fracture. Les autorités, parfois concentrées sur les capitales, peinent à surveiller les communications clandestines déployées dans des dunes ou des forêts peu cartographiées.
Internet spatial, une offre disruptive
Starlink facture en moyenne 99 dollars le kit et un abonnement mensuel très souvent inférieur à celui des fournisseurs fixes traditionnels selon l’Union internationale des télécommunications. Le rapport couverture-prix rebattrait les cartes de la concurrence d’ici 2026.
Le réseau regroupe déjà plus de 5 000 satellites en orbite basse. Latence réduite, autonomie grâce aux panneaux solaires et application mobile de configuration séduisent les administrations scolaires, les PME agricoles et les diasporas revenues entreprendre.
Marché noir des terminaux
L’importation officielle reste limitée à seize pays, mais des revendeurs enregistrent les kits dans des zones autorisées avant de les convoyer clandestinement vers le Mali, le Tchad ou la Libye, démontés et dissimulés dans des cargaisons nocturnes.
Parce que moins de 25 % des habitants disposent d’un compte bancaire, les trafiquants conservent souvent la maîtrise des identifiants et perçoivent en espèces ou via mobile-money des redevances mensuelles en francs CFA équivalant à 50 euros.
La revente illégale s’appuie sur des relais communautaires. Des femmes gèrent la facturation sur les marchés isolés, tandis que des techniciens formés sur YouTube assurent la maintenance, créant un micro-écosystème numérique parallèle.
Risques sécuritaires revisités
Des vidéos authentifiées montrent des combattants du Jama’at Nasr al-Islam wal-Muslimin posant devant des paraboles capturées à l’État islamique. Les images, diffusées sur TikTok, deviennent virales en quelques heures et galvanisent les sympathisants.
La latence faible permet des coordinations quasi temps réel entre cellules éclatées. Pour les États-majors, intercepter ces flux chiffrés exige d’onéreux équipements d’interception ou la neutralisation physique des bornes, opérations complexes dans des zones hostiles.
Les autorités de la Libye, du Soudan et du Nigeria ont ainsi restreint ponctuellement les fréquences Ka-band. Mais bloquer totalement un faisceau satellite revient à paralyser les usages civils, risquant un mécontentement social déjà aigu.
Scénarios pour les gouvernements
Premier scénario : légaliser rapidement la technologie tout en imposant un enregistrement obligatoire des terminaux, semblable au registre des cartes SIM, afin de responsabiliser les usagers sans freiner l’innovation.
Deuxième scénario : interdire ou taxer fortement l’importation pour protéger les opérateurs historiques. Risque collatéral : pousser encore plus le marché souterrain et perdre le contrôle sur les flux de données.
Troisième scénario : partenariats public-privé. L’État loue de la capacité Starlink pour des écoles connectées ou des bases avancées, négociant en échange des passerelles d’écoute sous supervision judiciaire.
Le point économique
Le coût d’un gigaoctet transmis par satellite chute chaque trimestre grâce aux lancements réutilisables. Les fintechs régionales envisagent déjà d’utiliser ces canaux pour sécuriser les paiements transfrontaliers, accélérant l’inclusion financière.
Le FMI estime que 10 % de connectivité supplémentaire pourrait augmenter de 1,5 point la croissance annuelle d’un pays sahélien. À l’heure où les recettes minières subissent la volatilité des cours, le numérique devient un pilier de diversification.
Le point juridique
La CEDAO planche sur un cadre harmonisé sur les « services orbitaux non géostationnaires ». Les textes proposés imposent une présence locale, l’hébergement de certaines données et la coopération judiciaire en matière de cybercriminalité.
Pour les défenseurs des libertés numériques, l’enjeu consiste à éviter que le spectre du terrorisme ne serve de prétexte à une surveillance généralisée. Ils réclament des garanties de proportionnalité dans l’accès aux métadonnées.
Et après ?
Des start-up africaines misent déjà sur des constellations concurrentes en bande Ku ou optique pour l’imagerie agricole et la télémédecine. La démocratisation du ciel pourrait se jouer en mode multipolaire, diluant la position hégémonique de Starlink.
Avec l’arrivée prochaine de satellites dotés d’interliens laser, le brouillage deviendra encore plus complexe. Gouvernements, opérateurs et citoyens se retrouvent donc face à un impératif commun : définir sans tarder les règles d’un espace numérique sahélien sûr et inclusif.
