Sultan Attahiru, figure de résistance anticoloniale
À l’aube du XXᵉ siècle, le califat de Sokoto se trouve sous la pression croissante de la Couronne britannique, avide de verrouiller le commerce du Niger. Sous le turban d’apparat, Muhammadu Attahiru Iᵉʳ hérite en octobre 1902 d’un trône menacé et d’un peuple inquiet.
Son règne éclair, moins de six mois, s’inscrit dans le sillage réformiste de Shehu Usman Dan Fodio, qui au début du XIXᵉ siècle avait transformé la région par le jihad et l’érudition. Mais, face aux Maxim britanniques, la légitimité religieuse ne suffit plus à préserver la souveraineté.
La poussée britannique vers le nord nigérian
Depuis les comptoirs côtiers de Lagos, les agents de la Royal Niger Company remontent le fleuve, hissant le drapeau de Saint-Georges à Lokoja en 1890. Derrière les traités commerciaux, souvent signés sans traduction fidèle, se cache un transfert de souveraineté que beaucoup d’émirs ne mesurent pas encore.
Les Britanniques emploient aussi la cartographie ethnographique rapportée par Mungo Park ou Henry Glass, jaugeant ressources agricoles, densité humaine et clivages politiques. Cette connaissance fine alimente une doctrine : occuper rapidement les centres religieux, puis installer une administration dont les Nijas deviendront les relais dociles.
Une stratégie diplomatique qui camouflait l’annexion
Des missives polies arrivent à Sokoto, promettant paix et prospérité si le califat accepte le protectorat. Attahiru, conseillé par des juristes malékites, comprend néanmoins que l’article secret cède l’impôt et la justice aux troupes du capitaine Lugard, prélude inacceptable à la dépossession.
Un sultan à la croisée des armes et de la foi
Privé de canons modernes, le souverain tente l’alliance des cœurs. Ses sermons au grand marché de Sokoto invoquent la défense de l’Umma face aux ‘Nasara’. Des témoins relatent qu’il brandit un Coran ouvert au verset décrivant la patience devant l’adversité, galvanisant commerçants et talibés.
La première escarmouche, près de Kebbi, se solde par un statu quo. Le sultan conçoit alors une retraite tactique vers l’est, espérant trouver renfort auprès de prêcheurs messianiques comme Malam Hayatu à Gombe. Pour beaucoup de fidèles, le voyage revêt déjà l’allure d’un hijra eschatologique.
Fuite stratégique et alliances mouvantes
De Zamfara à l’île de Bima, son campement nomade grossit de paysans ruinés par la dîme britannique et d’érudits anxieux de préserver la charia. Des éclaireurs de Zaria signalent toutefois ce regroupement. Le quartier-général de Kaduna ordonne alors un déploiement de mille askaris appuyés par vingt-cinq officiers blancs aguerris expérimentés.
Les négociations reprennent. Attahiru assure vouloir rejoindre la Mecque, non renverser l’Empire britannique. Le major Morland lui propose un passage sous escorte jusqu’à Port-Said, à condition de déposer les armes. Le sultan perçoit l’offre comme un piège qui décapiterait la résistance sans tirer un coup.
Le siège de Mbormi, tournant sanglant
À l’aube du 27 juillet 1903, les fusiliers encerclent le village fortifié de Mbormi où se sont retranchés près de deux mille fidèles. Les mitrailleuses Maxim bavardent trois heures durant. Une balle atteint la tempe du sultan; ses fils Abubakar et Musa tombent aussi, brandissant encore des lances effilées contre l’assaut colonial.
Le corps décapité d’Attahiru est photographié, puis les clichés circulent jusqu’à Kano afin de convaincre les émirs restants de prêter allégeance. Le procédé choque même certains officiers, mais sert la psy-ops impériale. Dans le nord, le message est clair : la résistance ouverte ne sera pas tolérée.
Conséquences politiques et modèle d’Indirect Rule
À Sokoto, les Britanniques intronisent Attahiru II, plus conciliant. Frederick Lugard généralise ensuite le schéma d’Indirect Rule : les anciens palais deviennent bureaux du district officer, et les impôts sont levés par des chefs locaux sous supervision coloniale. Cette architecture réduit les coûts militaires tout en légitimant l’occupation aux yeux des investisseurs.
Dans l’ensemble du Nigéria, la recomposition territoriale se fait sur la base des intérêts douaniers plutôt que des affinités ethniques. Certains émirats sont fusionnés, d’autres érigés pour récompenser la loyauté. Le précédent pèsera plus tard sur la consolidation fédérale après l’indépendance de 1960.
Un héritage toujours vivant dans la sous-région
Aujourd’hui encore, le mausolée de Mbormi attire chercheurs et pèlerins, symbole d’un islam négro-soudanais qui sut défendre sa dignité. Les descendants d’Attahiru vivent principalement au Soudan; leur généalogie rappelle l’exil forcé provoqué par le conflit sino-britannique des ambitions impériales dans le Sahel du début XXᵉ siècle.
Pour les diplomates de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, la trajectoire d’Attahiru offre un cas d’école : elle démontre qu’aucune gouvernance légitime ne se construit durablement sans consentement local. En coulisse, ce rappel historique alimente encore les briefings des missions de stabilisation régionales et multilatérales.
Plus d’un siècle après Mbormi, l’exigence de souveraineté demeure au cœur des débats africains sur la sécurité collective. La mémoire d’Attahiru, exaltée dans la littérature haoussa, rappelle qu’une puissance peut remporter une bataille, mais peine souvent à dompter durablement l’esprit des peuples.
Au Nigeria contemporain, quelques écoles coraniques portent son nom, tandis que les musées d’Abuja exposent sa bannière piquée d’impacts. Pour la jeunesse nigériane, cette relique cristallise une question récurrente : comment conjuguer modernité, identité islamique et refus de la domination extérieure ?
