Bangui, futur carrefour financier régional
Au lendemain du Caucus africain 2025, la moiteur de Bangui semble bruire d’une ambition renouvelée : se hisser au rang de place financière audible au cœur du bassin du Congo. En recevant Tony Elumelu, président du conglomérat United Bank for Africa (UBA), le chef de l’État centrafricain Faustin-Archange Touadéra a publiquement plaidé pour l’établissement de la banque à Bangui. L’enjeu dépasse la simple venue d’un acteur bancaire supplémentaire ; il s’agit de positionner la République centrafricaine dans le maillage financier d’une communauté économique sous-régionale en mutation.
De Brazzaville à Bangui : l’arc stratégique de UBA
UBA, déjà active dans vingt pays africains, a façonné un corridor bancarisé qui relie Lagos, Douala et Brazzaville. Dans la capitale congolaise, l’institution s’est distinguée par un accompagnement ciblé des PME locales, ce que d’aucuns, dans les milieux diplomatiques, considèrent comme « un précédent encourageant pour Bangui ». L’implantation envisagée ferait de la Centrafrique le cinquième maillon UBA en zone CEMAC, renforçant ainsi l’interopérabilité des flux financiers régionaux. Les autorités congolaises y voient d’ailleurs l’opportunité d’une plus grande fluidité des transactions transfrontalières, gage de consolidation de l’intégration économique sans susciter d’inquiétude quant à la souveraineté monétaire.
Un marché bancaire en chantier, mais des signaux positifs
Quatre établissements – BPMC, BSIC, BGFI Bank, Ecobank – se partagent aujourd’hui le marché centrafricain. Cette faible densité contraste avec les 6 454 crédits accordés au troisième trimestre 2024, en hausse de 26,47 % sur un an selon la Banque des États de l’Afrique centrale. L’embellie demeure néanmoins concentrée : près de 46 % des concours proviennent de BGFI Bank, tandis que les PME, pilier de l’emploi formel, n’absorbent encore que 13,9 % des montants décaissés. En combinant sa surface de bilan – plus de 20 milliards de dollars d’actifs – et sa culture de la bancarisation numérique, UBA pourrait accroître la profondeur d’un marché où moins d’un adulte sur six détient un compte bancaire.
La carte Tony Elumelu : catalyser l’énergie entrepreneuriale
Adjacente au projet d’implantation, la Tony Elumelu Foundation offre un levier d’accompagnement unique pour les jeunes pousses. Près de 24 000 entrepreneurs africains, dont 23 centrafricains, ont déjà bénéficié de ses bourses. « Nos programmes combinent formation intensive, mentorat et dotation de capitaux d’amorçage », rappelle Tony Elumelu. L’arrivée physique d’UBA décuplerait la portée de cette philanthropie structurée : une plateforme bancaire locale faciliterait la domiciliation des fonds, la gestion de compte en devises et l’accès à des crédits de courte maturité, jusqu’ici réservés aux entreprises disposant d’un historique bancaire robuste.
Répercussions diplomatiques et intégration sous-régionale
Au-delà des chiffres, l’éventuel feu vert à UBA traduit une évolution des rapports diplomatiques entre acteurs de la CEMAC. Bangui capitalise sur un sentiment de solidarité économique renouvelée, tandis que Brazzaville, fort d’une expérience depuis 2006 avec UBA, se positionne volontiers en facilitateur. Un conseiller financier du Palais du Peuple à Brazzaville confie que « la réussite de Bangui renforcerait la crédibilité collective de la sous-région auprès des investisseurs non africains ». L’argument n’est pas anodin : consolidation du marché des capitaux, diminution des coûts de transaction et harmonisation réglementaire s’inscrivent au cœur des débats sur la réforme du franc CFA et sur la mise en œuvre graduelle de la Zone de libre-échange continentale africaine. Pour les chancelleries occidentales présentes à Bangui, le signal est également politique : soutenir l’inclusion financière offre une voie de stabilisation durable dans un pays où la paix reste fragile.
Cap vers l’opérationnalisation : défis et attentes
Le calendrier précis demeure suspendu à la délivrance d’un agrément par la Commission bancaire de l’Afrique centrale. Plusieurs variables techniques devront être arbitrées, notamment la question de la compensation interbancaire, la localisation des premiers guichets et la formation de personnels locaux aux standards de conformité internationaux. Un dirigeant de UBA glisse que « l’objectif est d’ouvrir avant la fin de l’exercice 2026, si les autorités y voient un alignement sur leurs priorités ». Pour Bangui, l’équation est claire : plus l’opération se concrétisera rapidement, plus la jeunesse entrepreneure pourra raccrocher son ambition à un réseau financier structuré, à l’instar de ce qui se pratique déjà avec succès à Brazzaville.
Vers un nouvel équilibre financier en Afrique centrale
La perspective d’une entrée de UBA en Centrafrique catalyse ainsi intérêts économiques, considérations diplomatiques et aspirations sociétales. En cas de succès, Bangui passerait du statut de périphérie bancaire à celui de nœud émergent au sein du Sahel et du bassin du Congo, sans délester ses voisins de leur rôle. Dans cet élan, la consolidation progressive d’un marché sous-régional porté par l’innovation financière pourrait offrir à la CEMAC un gradient d’attractivité inédit, tout en préservant la stabilité macroéconomique à laquelle veillent jalousement Brazzaville et les autres capitales membres.