Ce qu’il faut retenir
La signature à New York d’un accord d’exemption de visa entre le Tchad et le Bénin marque une accélération de la libre circulation sur le continent. Les deux pays ouvriront bientôt des ambassades, misant sur la diplomatie économique pour stimuler échanges, investissements et mobilité académique.
Accord de New York, symbole fort
Au siège des Nations Unies, le ministre tchadien Abdoulaye Sabre Fadoul et son homologue béninois Olushegun Adjadi Bakari ont paraphé le document sous le regard de plusieurs partenaires multilatéraux, soulignant le rôle catalyseur de la diplomatie onusienne dans la concrétisation d’initiatives africaines transversales.
« Cet accord traduit notre volonté de rapprocher nos peuples et de libérer les énergies du secteur privé », a déclaré Abdoulaye Sabre Fadoul. Son vis-à-vis béninois y voit « une étape vers une Afrique sans barrières où la carte d’identité suffirait à voyager d’Accra à N’Djaména ».
Libre circulation, un moteur économique
La suppression réciproque des visas devrait faire bondir le flux de passagers sur l’axe Cotonou-N’Djaména, aujourd’hui limité à 25 000 voyageurs annuels selon l’Organisation mondiale du tourisme. Les compagnies aériennes régionales, dont la congolaise Equaflight, entrevoient déjà de nouvelles dessertes triangulaires rentables.
Au-delà des sièges économiques, l’accord vise aussi les échanges de compétences. Les universités d’Abomey-Calavi et de N’Djaména négocient un programme commun en agriculture aride, domaine stratégique pour la sécurité alimentaire du Sahel et du golfe de Guinée.
Nouvel élan diplomatique nord-sud sahélien
L’ouverture prochaine d’une ambassade tchadienne à Cotonou remplacera le consulat général existant, offrant un canal politique permanent. Côté béninois, l’installation d’une mission diplomatique à N’Djaména devrait s’accompagner d’attachés militaires et commerciaux chargés de suivre les projets infrastructures et énergie.
Pour N’Djaména, ce geste consolide le recentrage stratégique engagé depuis la transition militaire vers l’Afrique de l’Ouest, complémentaire des liens historiques avec le Soudan et le Cameroun. Pour Cotonou, il ouvre la route sahélienne vers la Libye, sous réserve d’une sécurisation progressive du corridor.
Effet d’entraînement pour la CEMAC
Dans la sous-région CEMAC, plusieurs voix saluent l’initiative. Le ministre congolais de l’Intégration régionale, Juste Désiré Mondelé, rappelle que Brazzaville a déjà supprimé les visas pour les ressortissants de la zone et soutient « toute dynamique panafricaine qui fluidifie le mouvement des talents ».
Le président Denis Sassou Nguesso, artisan de la Zone de libre-échange continentale africaine au sein de l’Union africaine, voit dans la démarche tchadienne et béninoise un signal encourageant pour l’harmonisation prochaine des régimes migratoires en Afrique centrale.
Des opportunités pour les entrepreneurs congolais
Les startups fintech basées à Pointe-Noire envisagent déjà de connecter les systèmes de paiement mobile béninois et tchadiens. Selon la Chambre de commerce du Congo, l’absence de visa réduira les frais administratifs de 200 dollars par mission exploratoire, un atout pour les jeunes pousses.
Le cluster logistique de Brazzaville anticipe également une hausse de la demande pour les services de transit maritime via le port de Pointe-Noire. Les cargaisons de coton tchadien et de noix de cajou béninoises pourraient emprunter ce débouché atlantique, raccourcissant les délais d’exportation vers l’Europe.
Le point juridique/éco
Concrètement, l’accord entre en vigueur dès sa ratification par les parlements. Les séjours touristiques ou professionnels inférieurs à 90 jours seront exemptés de visa, mais les permis de travail resteront soumis aux lois nationales. Une commission mixte actualisera les textes fiscaux et sanitaires associés.
Les deux gouvernements se sont engagés à mutualiser leurs plateformes numériques pour délivrer des codes QR d’entrée, méthode déjà utilisée par la République du Congo pour ses e-visas. L’interopérabilité facilitera la collecte de données statistiques indispensables à la planification touristique et sécuritaire.
Les experts congolais en cybersécurité offriront leur appui pour tester la résistance des nouveaux systèmes contre la fraude documentaire.
Scénarios d’intégration régionale
Si l’initiative inspire ses voisins, un corridor sans visa pourrait relier à moyen terme Libreville, Yaoundé, N’Djaména et Cotonou. La Banque africaine de développement chiffre à 1,6 milliard de dollars le gain potentiel annuel lié à la suppression des barrières migratoires dans cette boucle.
Les experts rappellent toutefois que la mobilité doit s’accompagner d’investissements dans la sécurité routière et aérienne. L’Agence nationale de l’aviation civile du Congo insiste sur la mise à niveau des aéroports secondaires pour absorber l’augmentation prévue de 15 % du trafic sous-régional.
Et après ?
La prochaine session des ministres des Affaires étrangères de la CEMAC, que Brazzaville accueillera, examinera l’intégration de l’accord tchadien-béninois dans le calendrier communautaire. Un pas de plus vers la libre circulation continentale que l’Agenda 2063 de l’Union africaine place au premier plan.
Pour le Tchad et le Bénin, la démolition symbolique des frontières juridiques n’est qu’un début. Le défi sera de concrétiser la promesse sur le terrain, de la file d’attente à l’aéroport jusqu’à la sécurisation des axes routiers, en conservant la confiance des populations.
Brazzaville, observateur attentif, illustre la conviction que la prospérité africaine se nourrira d’abord du mouvement fluide des personnes. Le signal envoyé par N’Djaména et Cotonou conforte la vision d’un espace communautaire où la carte d’identité pourrait devenir le passeport de demain.
