Un Forum devenu laboratoire de diplomatie culturelle
Depuis seize ans, le Forum des métiers de la mode et du design à Yaoundé tisse patiemment un espace où la créativité côtoie la stratégie d’influence. L’édition 2025, logée à l’Institut français, confirme le virage entrepreneurial impulsé par le Centre des Créateurs de la Mode du Cameroun. Sous la houlette de son directeur, Yves Eya’a, le concours Talents de Créateurs s’est mué en plateforme d’accompagnement en profondeur, plus proche d’un incubateur que d’un simple défilé. Dans un contexte où les industries culturelles africaines cherchent à peser sur les marchés mondiaux, l’évènement devient un instrument de diplomatie culturelle, adossé à un partenaire français soucieux de soutenir une offre créative structurée.
Un jury international pour un label national
Le 26 juin, six finalistes – Sodetou Mefire Mbombo, Hamadou Djam, Cécile Bela, Carole Tala, Cabrel Pouowo et Estelle Ngo Unkab – ont défendu leurs lignes devant un aréopage de professionnels aguerris, mentors internationaux et représentants institutionnels. Leur défi dépasse l’élégance du tracé : il s’agit de convaincre qu’un projet de collection est, avant tout, un modèle économique crédible. La récompense de 4 millions de FCFA, financée par l’Institut français, doit servir d’amorce de capitalisation. Dans les couloirs, un membre du jury confie qu’« il ne s’agit plus d’élire la plus belle silhouette mais de sélectionner une entreprise en gestation, capable d’absorber un marché intérieur en forte demande tout en répondant aux normes d’exportation ».
Talents de Créateurs 2025 : incubateur de business models
La phase de préparation du concours a consisté en une master class de quatre modules – technique, économie, juridique et industrialisation – condensée mais exigeante. Pour le CCMC, l’enjeu est clair : transformer l’enthousiasme créatif en projet bankable. Les lauréats passés témoignent d’un gain concret : accès facilité aux fournisseurs de matières premières, conseil en propriété intellectuelle, introduction auprès de plateformes de vente en ligne. Selon Yves Eya’a, « le prix est un starter, la véritable valeur ajoutée réside dans l’ingénierie d’accompagnement ». Une rhétorique qui épouse les orientations du ministère camerounais des Arts et de la Culture, désireux de voir la mode devenir un segment du PIB au même titre que la musique ou l’audiovisuel.
Vers une mode exportable sans renier l’ADN local
Sur le podium, les silhouettes mêlent toiles de coton tissées à Bafoussam et coupes avant-gardistes susceptibles de séduire une boutique de concept-store parisien. La formule « penser local, viser global » revient comme un mantra. Les stylistes refusent l’étiquette folklorique mais revendiquent la fibre identitaire : la broderie Grassfields voisine avec une approche minimaliste japonaise, les pigments naturels du Nigéria voisin se marient à la rigueur d’une veste Bauhaus. Interrogée à l’issue de sa présentation, Cécile Bela explique que « l’objectif est de s’inspirer des savoir-faire patrimoniaux pour créer une pièce dont la portabilité dépasse les frontières ». Cette hybridation raisonnée répond à la demande d’un consommateur international à l’affût de récits authentiques.
Le rôle structurant du partenariat franco-camerounais
Acteur historique de la coopération culturelle, l’Institut français offre une visibilité diplomatique de choix. Le soutien financier du prix, mais surtout l’ouverture de son réseau de résidences d’artistes, consolide la montée en compétence des créateurs. Pour Paris, l’initiative s’inscrit dans la stratégie de renouvellement des relations avec l’Afrique : privilégier les coproductions et accompagner la montée en gamme de filières entières. Dans les faits, la signature France demeure un sésame pour pénétrer les fashion weeks européennes, tandis que Yaoundé apporte une richesse narrative et la promesse d’un marché régional de plus de cinquante millions de consommateurs.
Une dynamique régionale saluée à Brazzaville
Au-delà des frontières camerounaises, l’agenda commun des capitales d’Afrique centrale encourage la circulation de savoir-faire. Les autorités de Brazzaville, qui accueillent depuis 2019 un Salon international de la mode d’Afrique centrale, envisagent déjà d’inviter les finalistes du programme Talents de Créateurs 2025. Une telle perspective illustre la complémentarité recherchée entre États voisins, soucieux de convertir leur patrimoine textile en levier de diversification économique. À titre d’exemple, la récente exemption de visa entre le Congo-Brazzaville et plusieurs pays de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale facilite les échanges de mannequins, de techniciens et de matières premières, signe d’un climat diplomatique favorable.
Soft power du tissu, capital du futur
En filigrane, la montée en puissance de la mode camerounaise participe d’une stratégie de soft power assumée. Les gouvernements de la sous-région perçoivent l’impact symbolique d’une marque nationale portée sur les podiums étrangers : vecteur de fierté, outil de narration et, in fine, moteur d’attraction des investissements. Le CCMC, en fédérant créateurs, formateurs et bailleurs de fonds, montre que la consolidation d’une filière créative passe par une gouvernance hybride, publique-privée, arrimée à des standards internationaux. La vigilance reste de mise sur la capacité à industrialiser sans uniformiser, mais les premiers signaux laissent entrevoir une génération de designers capables de conjuguer performance économique et diplomatie des images.